La vocation oubliée des prisons
Pour parler de la situation des prisons au Québec, on pourrait commencer par une énumération qui aurait tôt fait de prendre la figure d’un enchaînement tragique. Tenez, on pourrait dire par exemple qu’à la prison de Saint-Jérôme, on atteint parfois 120 % de la capacité maximale, qu’à la prison Leclerc, les détenues ont été forcées de vivre en cohabitation avec des hommes, puis qu’à la prison de Bordeaux, ça se tue pour des clopes. Je n’ai rien inventé : à Bordeaux, ça se tue pour des clopes. Ou bien encore, on pourrait balancer des affirmations qu’on aurait tôt fait d’oublier ; mais tant pis, il faut les dire. Dire que la promiscuité, ça pourrit les hommes, que c’est de la torture que de transformer des gymnases en dortoirs, que c’est du sport que de tenter de trouver le sommeil sur des matelas de deux pouces posés à même le sol.
Que les 60 % de prisonniers qui souffrent d’un problème de santé mentale devraient peut-être être traités autrement, qu’il y a des itinérants parmi eux, qu’on leur a même trouvé un nom: «les dodos ». Puis, alors que la syntaxe se meurt, en revenir au paroxysme du sordide : dire qu’à Bordeaux ça se tue pour des clopes.
On pourrait pousser interminablement sur l’archaïsme des conditions carcérales québécoises, mais à quoi bon? Pour construire plus de prisons, plus spacieuses. Pour ériger des murs plus hauts et plus solides, planter des télés à plasma avec plus de chaînes ? Je n’en vois pas l’intérêt, surtout des chaînes.
Parlons de ce qu’est l’emprisonnement tout court, cette peine rendue universelle pour ceux qui ont commis un crime. À quoi sert cette privation de liberté ? Les objectifs des prisons sont multiples : d’abord, on veut protéger le citoyen; ensuite, on veut punir le condamné, certes, mais il y a aussi cette vocation qui semble oubliée aujourd’hui, celle de chercher la réinsertion sociale du détenu afin qu’il puisse réintégrer la vie en société sans commettre d’autres crimes. Au Québec, 55 % des « libérés » sont reconnus coupables d’un nouveau crime moins de deux ans après leur sortie de prison. Devant cette statistique, force est de constater l’échec patent du dernier objectif.
Lieux de réintégration
Certaines institutions font tellement partie intégrante de notre société qu’elles sont devenues quasi sacrées, oeuvres des dieux et de leurs apôtres. Au fil du temps, nous en venons à oublier qu’elles sont oeuvres de l’imagination d’hommes. Ainsi, on ne peut plus oser repenser le système sans courir le risque d’être regardé comme un hérétique. Toute remise en question est annihilée par une rhétorique du «as-tu une meilleure idée ? ». Ceux qui imposent cette rhétorique sont bien évidemment ceux qui ne souhaitent répondre à aucune question. Pourtant, certaines méritent d’être posées.
Le système carcéral québécois est-il érigé sur des bases vertueuses ou est-il simplement un système punitif barbare ? Sans être expert de quoi que ce soit, je pense qu’un certain traitement décent pourrait passer par l’éducation. En effet, si les prisons se veulent réellement des lieux de réintégration, il faudrait peut-être resonger à la place de l’enseignement dans celles-ci. Chercher à savoir si nos prisons respectent réellement le principe numéro 6 des « Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus ». Celui-ci stipule que « tous les détenus ont le droit de participer à des activités culturelles et de bénéficier d’un enseignement visant au plein épanouissement de la personnalité humaine ». Même si je ne suis pas un expert, permettez-moi de douter de l’application de ce principe.
Et s’il était plus efficace de condamner les détenus à s’instruire, eux qui pour la plupart n’ont jamais eu la possibilité d’acquérir des connaissances plus tôt ? Bien sûr, en campagne électorale, avec les mille promesses qui jailliront, il est chimérique d’espérer que nos futurs élus se penchent plus longtemps qu’il ne le faut sur le sujet. De surcroît, pour bien y réfléchir, il faudrait sûrement qu’ils se trouent certains murs de l’esprit pour mieux s’enfermer à leur tour, coupés du reste de leur démagogie habituelle. Et vous savez, eux, dormir par terre, ce n’est pas leur fort, ils préfèrent raconter des histoires à dormir debout…