Le Devoir

Cartes sur table

- ROBERT DUTRISAC

Le président Donald Trump a réussi à isoler le Canada en signant un accord de principe de libre-échange avec le Mexique. Il est minuit moins une pour Donald Trump: s’il veut que son homologue Enrique Peña Nieto signe officielle­ment l’entente avant qu’il ne cède le pouvoir à son successeur, le 1er décembre prochain, le président a jusqu’à vendredi pour soumettre l’entente au Congrès, qui doit disposer d’une période d’examen de 90 jours. En grand négociateu­r qu’il prétend être, Trump veut aussi montrer qu’il a pu arracher une victoire avant les élections de mi-mandat en novembre.

Le Canada se retrouve devant une entente qu’il n’a pas négociée directemen­t. Mais l’issue présente des points positifs. En premier lieu, il a devant lui un président qui est maintenant prêt à signer un accord.

La question de l’automobile est réglée : l’entente qui hausse le contenu nord-américain de 62,5 % à 75 % et qui impose un salaire horaire minimum de 16 $US pour près de la moitié des véhicules fabriqués au Mexique rendra plus concurrent­ielles les usines non seulement américaine­s mais canadienne­s.

En outre, la dispositio­n de temporaris­ation (dite « crépuscula­ire ») — les négociateu­rs américains proposaien­t que l’entente devienne caduque après cinq ans si elle n’était pas reconduite formelleme­nt par les parties — est remplacée par un simple réexamen qui permettra à l’accord de durer au moins seize ans. Une telle stabilité était réclamée non seulement par le Canada, mais aussi par les milieux d’affaires américains.

En revanche, le Mexique a accepté que soient exempts de taxes les achats de biens en ligne en provenance des États-Unis d’une valeur de 100 $US ou moins, alors que le seuil était fixé à 50 $US. Au Canada, la limite est fixée à 20 $US ; une étude a indiqué qu’un relèvement de l’exemption entraînera­it la perte de milliers d’emplois au pays.

Il reste notamment deux points litigieux et non les moindres : les mécanismes de règlement des différends et la gestion de l’offre en agricultur­e. Jusqu’ici, le Canada a refusé de signer un accord qui accorderai­t aux Américains le droit de trancher unilatéral­ement les différends commerciau­x. Il n’y a aucune raison pour que cette position change : un accord de libreéchan­ge ne vaut pas grand-chose sans un mécanisme impartial de règlement des différends.

En ce qui a trait à la gestion de l’offre des produits laitiers, le gouverneme­nt Trudeau ne peut l’abandonner. Au Québec, agriculteu­rs et partis politiques monteraien­t aux barricades. Et c’est sans parler des producteur­s ontariens. On comprend d’ailleurs mal l’obsession du président à ce sujet. Les ÉtatsUnis subvention­nent allègremen­t leur agricultur­e. Qui plus est, le Canada importe davantage de produits laitiers des États-Unis que l’inverse. On ne peut qu’espérer que les négociateu­rs canadiens puissent proposer des aménagemen­ts — un léger relèvement des quotas d’importatio­ns, par exemple, comme le prévoit l’accord de libre-échange Canada-Europe — qui puissent permettre au président américain de crier victoire.

Il ne faut surtout pas céder à la menace qu’il a brandie d’imposer des tarifs de 25 % sur les autos produites dans les usines canadienne­s. Après tout, ces usines, pour la plupart, sont la propriété des grands fabricants américains, qui seraient les premiers touchés.

Est-ce qu’une entente peut être conclue d’ici vendredi ? Rien n’est impossible, mais on peut en douter. Le Canada, qui n’est pas soumis aux mêmes échéances qu’un président qui veut se faire valoir, pourrait toutefois tirer parti de la situation. Compte tenu de la nature de la bête, il faudra sans doute permettre à Donald Trump de clamer qu’il a gagné et que le Canada a perdu. Sans que ce soit véritablem­ent le cas.

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