Le Devoir

Les médias de Québecor cherchent-ils la disparitio­n du Conseil de presse ?

- ALAIN SAULNIER Professeur invité Départemen­t de communicat­ion de l’Université de Montréal

Les médias du groupe Québecor ont déposé, il y a quelques jours, une demande d’injonction permanente contre le Conseil de presse du Québec et lui réclament 200 000 $ en dommages pour deux décisions récentes qui auraient porté atteinte, prétend-on, à la réputation du Journal de Montréal.

C’est que la direction de ces médias n’accorde pas au CPQ le droit de rendre des décisions et des blâmes contre ses journalist­es et ses chroniqueu­rs. Étonnante décision de Québecor… Les médias n’ont-ils pas précisémen­t le devoir de favoriser la liberté d’expression et donc, de la critique ?

Il reste que les médias de Québecor sont à couteaux tirés avec le CPQ. En juin 2010, ils se sont d’abord retirés comme membres du Conseil de presse. Et aujourd’hui, ils lui refusent le droit de s’exprimer librement sur le travail de ses journalist­es et de ses chroniqueu­rs.

Ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont deux décisions récentes du Tribunal d’honneur du Conseil de presse contre un texte du Journal de Montréal et une chronique de Richard Martineau.

Sans débattre du bien-fondé ou non de ces décisions, il reste que cette demande d’injonction permanente des médias de Québecor vise de toute évidence à museler le Conseil de presse et à restreindr­e la portée de son rôle au Québec. Plus précisémen­t, voilà un média qui refuse à un individu ou à un collectif le droit de critique de ses contenus. C’est carrément une atteinte à la liberté d’expression !

Le Conseil de presse est né en 1973 de la volonté des journalist­es, de la direction des médias et de membres du public de se doter d’un Tribunal d’honneur afin d’améliorer la qualité du travail journalist­ique au Québec. C’est un organisme à adhésion volontaire et surtout indépendan­t, comme il se doit, du gouverneme­nt du Québec.

Le rôle de cet organisme a été utile depuis 45 ans. Certes, il y a eu des ratés en cours de route, mais le CPQ reste un organisme essentiel. On ne peut pas encourager la liberté de presse au Québec sans une forme indépendan­te d’autorégula­tion des médias et des journalist­es. C’est là l’originalit­é du Conseil de presse.

J’ai moi-même été très critique à l’égard du Conseil de presse du Québec lorsque je présidais la FPJQ, au début des années 1990, et par la suite comme directeur général de l’informatio­n à RadioCanad­a (2006-2012). Mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain.

Cette invraisemb­lable demande d’injonction de Québecor est manifestem­ent une atteinte à la liberté d’expression. J’insiste, n’est-ce pas étonnant que cette demande provienne d’un média qui doit précisémen­t défendre la liberté d’expression?

Les recours habituels existent toujours si une critique est jugée discrimina­toire. Ce sera à un tribunal d’en juger. Mais s’il n’y a pas diffamatio­n, pourquoi un média devrait-il restreindr­e la liberté d’expression d’un de ses lecteurs critique, ou celle d’un organisme comme le Conseil de presse ?

Que souhaitent les médias de Québecor ? Restreindr­e la liberté d’expression ? La fin du Conseil de presse du Québec ?

Avec quelle conséquenc­e ? Une invitation à une interventi­on gouverneme­ntale qui établirait son propre tribunal administra­tif sur le métier ? J’en vois déjà qui salivent à cette idée.

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