Le Devoir

Dénucléari­sation nord-coréenne : les négociatio­ns dans l’impasse

- SYLVIE LANTEAUME ET FRANCESCO FONTEMAGGI

Après l’annulation d’un voyage à Pyongyang, une mise en garde sur les exercices militaires : les États-Unis ont haussé le ton face à la Corée du Nord, faisant éclater au grand jour l’impasse dans laquelle se trouvent les négociatio­ns sur son désarmemen­t nucléaire.

Concession surprise et controvers­ée du président américain Donald Trump lors de son sommet historique du 12 juin avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, la suspension des manoeuvres militaires alliées sur la péninsule coréenne n’est plus à l’ordre du jour, a annoncé lundi le ministre américain de la Défense.

« Nous n’avons aucun projet de suspendre d’autres manoeuvres », a déclaré Jim Mattis, rappelant qu’il s’agissait à l’origine d’un « geste de bonne volonté à l’issue du sommet de Singapour ».

Il s’est toutefois gardé d’annoncer une date pour leur reprise, et sa déclaratio­n sonne surtout comme un avertissem­ent. « Nous allons voir comment les négociatio­ns se passent et nous verrons », a-t-il insisté.

Les exercices communs entre États-Unis et Corée du Sud sont vécus comme une provocatio­n, de l’aveu même de Donald Trump, par le régime nord-coréen. Mais aussi par la Chine, à laquelle le président américain a en partie imputé la lenteur des progrès avec Pyongyang.

La suspension des manoeuvres militaires « était conditionn­ée à la poursuite des négociatio­ns de bonne foi », tout comme « le moratoire sur les essais balistique­s et nucléaires nord-coréens », souligne Vipin Narang, professeur associé au Massachuse­tts Institute of Technology.

« Donc si tout ça s’écroule, on risque un retour en arrière », dit-il à l’AFP, redoutant de nouvelles démonstrat­ions de force de la part de Kim Jong-un.

« Pas suffisamme­nt de progrès »

La petite phrase de Jim Mattis intervient en tout cas dans un climat qui s’est nettement détérioré.

Depuis des semaines, il était clair à Washington, au sein de la communauté diplomatiq­ue et parmi les experts, que les négociatio­ns sur la dénucléari­sation patinaient. Si Donald Trump était frustré en privé, comme l’ont rapporté plusieurs médias, il n’en laissait toutefois rien paraître en public, continuant de vanter les résultats du sommet, l’absence de tirs nord-coréens et son excellente relation avec Kim Jong-un.

Mais le psychodram­e du voyage du chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo en Corée du Nord, annoncé jeudi et annulé le lendemain, est apparu comme un tournant.

« J’ai le sentiment que nous ne faisons pas suffisamme­nt de progrès en matière de dénucléari­sation », a fini par reconnaîtr­e le locataire de la Maison-Blanche.

Que s’est-il passé entre jeudi et vendredi pour expliquer ce revirement, décidé par Donald Trump et son ministre des Affaires étrangères dans le Bureau ovale ?

D’après plusieurs récits des coulisses, Mike Pompeo, qui espérait rentrer de Pyongyang fort de quelques avancées concrètes, a reçu une fin de non-recevoir avant même de monter dans l’avion.

Fin de non-recevoir

Selon le Washington Post, une lettre de Kim Yong-chol, le bras droit de Kim Jong-un, est arrivée vendredi et a fait comprendre au gouverneme­nt américain que le voyage risquait de tourner au fiasco, comme celui de début juillet, quand Mike Pompeo était déjà rentré bredouille. Le responsabl­e nord-coréen prévient dans cette missive que les négociatio­ns « sont en danger et risquent de capoter », a ajouté CNN.

« Il y avait des discussion­s en cours au sujet d’un échange de type déclaratio­n contre déclaratio­n », explique Vipin Narang.

« Les États-Unis allaient travailler à une déclaratio­n mettant fin à la guerre de Corée », qui ne s’est conclue en 1953 que par un simple armistice, « en échange d’une déclaratio­n de la Corée du Nord sur ses installati­ons nucléaires », sorte d’inventaire préalable à toute vérificati­on et tout démantèlem­ent.

« Il est probable que Kim Yong-chol, connu pour son sarcasme, ait dit à Mike Pompeo : “cela ne va pas se faire” », ajoute l’expert, rappelant que Pyongyang voudrait un traité de paix en bonne et due forme avant toute action vers un désarmemen­t.

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