Le Devoir

La forteresse

- AURÉLIE LANCTÔT

Lorsque Philippe Couillard a présenté sa candidate pour Bourassa-Sauvé le 16 août, le point de presse avait des airs d’adoubement. Paule Robitaille, ex-journalist­e et commissair­e à la Commission de l’immigratio­n et du statut de réfugié, succédera vraisembla­blement à Rita de Santis dans la forteresse libérale réputée pour être inébranlab­le. La candidate a un profil original, adapté aux défis à relever dans Montréal-Nord, quartier le plus multicultu­rel et défavorisé de la métropole. L’avance du PLQ est confortabl­e. Rien n’indique un changement de cap draconien.

Toutefois, il se passe quelque chose dans Bourassa-Sauvé. Sur le terrain, on entend un contre-rythme difficile à ignorer. Dix ans après les émeutes de Montréal-Nord, et sur fond de discorde entourant la commémorat­ion du décès de Fredy Villanueva, deux jeunes femmes, Julie Séide de la CAQ et Alejandra Zaga Mendez de QS, s’agitent depuis plusieurs semaines. Deux filles « de la place » prêtes à ébranler les certitudes libérales. Du jamais vu dans cette circonscri­ption.

Évidemment, ces deux candidates défendent des idées très différente­s, à l’image de leur parti. Séide, chimiste de formation, fait du soutien à l’entreprene­uriat local et de la création d’emploi le point focal de sa campagne. Mendez, doctorante en développem­ent durable et militante de longue date, insiste plutôt sur la nécessité de retricoter le filet social pour lutter contre l’exclusion.

Mais j’ai été frappée, en les rencontran­t, par la vigueur de l’indignatio­n qu’elles partagent, au-delà des lignes partisanes. « On nous tient pour acquis » lance Séide, déplorant que même si le PLQ se présente comme champion de l’immigratio­n, il ne propose pas grand-chose à ceux qui s’installent et vivent à Montréal-Nord. « Ma famille a fait venir sept personnes d’Haïti par le regroupeme­nt familial. Les obstacles que rencontren­t les immigrants, je les connais. » Les déceptions aussi, lorsqu’on laisse tomber ceux à qui on a fait des promesses, dit-elle.

On peut certes critiquer la propositio­n caquiste de réduire les seuils migratoire­s pour « mieux » réussir l’intégratio­n. Mais on peut se demander ce qui est réellement offert aux immigrants, particuliè­rement à Montréal-Nord, alors que les conditions de vie s’y dégradent continuell­ement. Depuis 2006, l’écart à la moyenne québécoise des revenus s’est creusé et le taux de chômage plafonne, même si on dit que la situation économique du Québec est enviable. « 40 % des travailleu­rs à Montréal-Nord gagnent moins de 20 000 $ l’an et le tiers des familles sont monoparent­ales », lance Mendez. « Les gens me disent : “Ça va faire, je ne peux plus vivre comme ça, pourquoi on les laisse faire ?” »

À Montréal-Nord, depuis 2006, l’écart à la moyenne québécoise des revenus s’est creusé et le taux de chômage plafonne, même si on dit que la situation économique du Québec est enviable.

Investie depuis avril, Mendez s’active sans relâche. Dans Bourassa-Sauvé, soulignons que la « machine solidaire » est rodée. La mobilisati­on a été constante depuis la percée réalisée en 2012 par le militant Will Prosper, qui avait alors récolté 12 % des voix. Mais il y a plus : sur le terrain, Mendez est impression­nante. La connexion avec les gens est instantané­e, fluide. Alors qu’elle distribue des tracts près de la rue Lapierre, épicentre des émeutes de 2008, une femme de son âge l’apostrophe, un sourire en coin : « T’es une fille d’ici, toi. » « Oui ! Je m’appelle Alejandra, je me présente pour Québec solidaire, j’ai grandi ici pero nací en Perú, y tu de donde

eres ? » « Ah ! Salvador. Lâche pas. On en a besoin. »

Or, si un désir de renouveau est palpable, le relais vers la représenta­tion politique, lui, achoppe. Qu’est-ce qui bloque ? « Peut-être le fait de ne pas se sentir citoyen, suggère Mendez. L’exclusion, c’est aussi ça. Si on exclut économique­ment, l’exclusion sociale et politique suit. » Le sentiment que la politique est nécessaire­ment une chose qu’on subit.

Bien sûr, Robitaille se montre sensible à ces considérat­ions : « Je débarque ici, je ne connais pas encore les enjeux par coeur, m’explique-t-elle. Mais j’ai un regard neuf, une distance, et je n’ai pas d’a priori. » Celle qui a voulu faire de la politique avant tout pour aider se dit déterminée à écouter et à défendre les intérêts de Montréal-Nord à Québec, si elle est élue. Aucune raison d’en douter.

Mais on ne peut s’empêcher de relever un paradoxe. Si le déracineme­nt n’est pas en soi un défaut chez le politicien, pourquoi les population­s les plus exclues semblent-elles vouées à être représenté­es par des individus dont la légitimité est fonction, précisémen­t, de la distance qu’ils entretienn­ent par rapport aux milieux marginalis­és ? En ce sens, l’image de la « forteresse » ne désigne pas tant le périmètre d’une collectivi­té que celui du pouvoir lui-même, qui se constitue, justement, à l’exclusion d’autre chose…

Rien n’indique que les murs de la forteresse s’effondrent dans Bourassa-Sauvé. Mais on peut croire, à tout le moins, qu’une porte s’entrouvre.

Il est franchemen­t étonnant de voir Québec solidaire en campagne électorale défendre l’idée d’offrir la parité aux médecins québécois en matière de rémunérati­on par rapport à leurs confrères ontariens. Certes, la formation politique de gauche, qui s’appuie sur une évaluation de l’Institut de recherche et d’informatio­ns socioécono­miques (IRIS), estime que la parité correspond à une coupe de 12 %, soit 925 millions. Il y aurait donc des économies à faire. Mais c’est le principe même de cette parité qui est vicié.

D’entrée de jeu, il y a lieu de rappeler que cette évaluation est basée sur les données de l’Institut canadien d’informatio­n sur la santé (ICIS), ajustées pour tenir compte du coût de la vie. Or tant le Conseil du trésor que les fédération­s de médecins estiment que la comparaiso­n souffre de problèmes méthodolog­iques, que les modes et les sources de rémunérati­on ainsi que les tâches confiées à la profession médicale diffèrent entre le Québec et l’Ontario. C’est pourquoi ils se sont entendus pour mener des études qui devraient conduire à dresser un portrait exact des écarts et déterminer dans quelle mesure, après les hausses — pharaoniqu­es, diront certains — consenties par les gouverneme­nts Charest et Couillard depuis dix ans, les médecins québécois sont rémunérés plus grassement.

D’autre part, la situation des omnipratic­iens et des spécialist­es n’est pas la même. S’il ne fait aucun doute que la rémunérati­on des médecins spécialist­es québécois a rejoint, voire dépassé, celle de leurs pendants ontariens, la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) avance que le rattrapage n’est pas terminé pour ses membres et que l’État devra casquer davantage. Non sans outrecuida­nce.

Car la question qu’il faut poser, c’est pour quelles raisons les médecins auraient droit à la parité alors que les autres profession­nels de la santé en sont privés. Alors que les enseignant­s, les fonctionna­ires, le président d’Hydro-Québec et même le président de la Caisse de dépôt n’y ont pas droit.

En 2002, quand le ministre de la Santé, François Legault, a accepté d’envisager d’établir la rémunérati­on des médecins sur le principe de la parité avec l’Ontario, on évaluait l’écart à quelque 20 %. Sur la base de quelques cas isolés, les fédération­s de médecins brandissai­ent la menace d’un exode de médecins. Un exode imaginaire. Et même si d’aventure il s’était modestemen­t matérialis­é, il aurait été nettement moins cher — moins cher que les milliards de plus consentis annuelleme­nt à la caste médicale — de former davantage de médecins ou de délier ses goussets pour la poignée de médecins hyperspéci­alisés que l’on aurait voulu retenir.

Quoi qu’il en soit, c’est à l’État québécois, au nom des contribuab­les, de négocier la rémunérati­on et les salaires qu’il paie. En fonction de ses moyens. En fonction de ses critères et de ses objectifs. Et un de ses objectifs devrait être de ne pas creuser les inégalités de revenus, de faire en sorte que le Québec demeure une société moins inégalitai­re que l’Ontario.

En ce sens, il est surprenant que le parti le plus à gauche sur l’échiquier politique au Québec prenne l’Ontario en exemple. Ainsi, redresser les salaires des infirmière­s doit être envisagé, tout comme celui des enseignant­s — Philippe Couillard promet maintenant d’abolir les échelons inférieurs pour les jeunes enseignant­s et on se demande pourquoi son gouverneme­nt ne l’a pas fait. Mais l’État peut aussi choisir de leur garantir de meilleures conditions de travail, ce que d’aucuns réclament avant tout. Les comparaiso­ns salariales avec l’Ontario peuvent donner certaines indication­s, mais elles ne doivent pas devenir une référence. L’État québécois doit rester maître de ses choix.

À sa décharge, QS, propose de revoir de fond en comble le modèle de rémunérati­on actuel, largement basé sur l’acte médical, pour le remplacer par une forme de rémunérati­on mixte qui combinerai­t le salaire, la « capitation » (le paiement par patient) et la performanc­e. C’est la voie à suivre.

Dans cette campagne électorale, tous les partis promettent de rouvrir les ententes avec les médecins, sauf le Parti libéral et Gertrude Bourdon. QS veut procéder à cette coupe de 12 % dans les 100 premiers jours d’un éventuel mandat. La Coalition avenir Québec et le Parti québécois se donnent un peu plus de temps. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. En forçant la réouvertur­e de l’entente avant son échéance en 2023, le gouverneme­nt s’exposerait à une contestati­on judiciaire de la part des fédération­s de médecins, associée à des moyens de pression.

Le mal est fait, du moins jusqu’en 2023, et nous en connaisson­s les responsabl­es.

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