Mile Ex End, la décroissance volontaire
Mile Ex End Montréal, ou comment gérer la décroissance volontaire
Il avait beaucoup plu la fin de semaine de la fête du Travail en 2017, et on avait eu froid. Forcément, dans ces conditions, l’espace bétonné devant la grande scène avait été déserté, et les festivaliers s’étaient réfugiés sous le viaduc Van Horne. Je n’en garde pas moins le meilleur souvenir de la première édition du Mile Ex End Montréal. On se sentait en zone interdite et en bivouac familial en même temps. Sous le béton armé, dans un stationnement transformé en jardin de fleurs de macadam, comme chantait Ferland, on était… entre nous. Une grande flaque de musique pas ordinaire dans un lieu pas ordinaire.
Benoît Pinette, de Tire le coyote, parle de «l’ambiance à la fois conviviale et décontractée, à échelle humaine». Il ajoute, sans nommer de nom: «Plusieurs événements finissent par perdre de leur âme à cause de cette volonté de constamment grossir : ça ne semble pas être le cas ici, on sent le côté “fête de quartier”. » Pas n’importe quel quartier, en l’occurrence: oui, le Mile End. On aura beau tirer sur la barbichette de moins en moins spécifique des hipsters, le fait est qu’il s’y crée encore et toujours beaucoup de musique. Avec Pop Montréal, les concerts sur le toit d’Ubisoft et tous les locaux de répétition et d’enregistrement qui s’y entassent, le festival Mile Ex End est en quelque sorte la récréation d’une communauté.
Autant rendre la fête encore plus agréable, a-t-on pensé dans l’organisation : un sondage auprès des festivaliers exprimait la même chose.
Oui à un pique-nique de musique entre les voies élevées et les clôtures Frost, mais dans un endroit où il ferait bon emmener les enfants. Pour tout le monde et pour Caroline Johnson, programmatrice de l’événement (qui a oeuvré longtemps auprès de Laurent Saulnier aux Francos, au FIJM et à Montréal en lumière), une solution s’imposait : décroissance volontaire. « C’est le gros changement de cette année : ce sera plus petit, plus intime. Il n’y aura plus la grosse scène qu’on avait montée dans le stationnement. On aura deux scènes plutôt que trois, plus rapprochées et sous le viaduc. » Précision : à proximité du « parc sans nom » (c’est son nom !). « Le parc a été réaménagé par la Ville, c’est plus sympathique, il y a une petite butte. Ça va être plus facile d’aller d’une scène à l’autre. »
Quand l’après-midi vaut le soir
Ce qui frappe aussi, quand on regarde l’horaire des spectacles des trois jours du long week-end : un équilibre différent dans la programmation. A contrario de la manière habituelle de faire. Les têtes d’affiche ne se produiront pas nécessairement le soir, dans le noir. Samedi et dimanche, ça se passera dès l’après-midi.
Un Kid Koala dès 15 h le premier jour et, surtout, le phénoménal rappeurchanteur français Eddy de Pretto à 15 h itou le deuxième jour. « On a remarqué l’an dernier qu’il y avait énormé- ment de gens très tôt sur le site, parce qu’ils avaient envie de profiter de chaque journée. On a voulu qu’ils aient une raison de plus d’être là de bonne heure. »
Notez la stratégie : les Barr Brothers, groupe certes majeur qui s’amènera avec cuivres et cordes, passeront néanmoins avant un Hubert Lenoir, le premier soir. Autre pari : des propositions où l’écoute attentive est nécessaire. « J’espère vraiment que les gens iront découvrir Nakhane, même si ce qu’il fait est vraiment doux. Il a une présence incroyable. » Les Charlotte Day Wilson, Helena Deland et Rhye ne sont pas des artistes rentre-dedans : le festival vit ça très bien. « Je pense qu’on peut parfaitement vivre des moments de grande délicatesse sur des scènes extérieures. Ça ne me fait pas peur du tout. Être envoûté, caressé, c’est aussi bien que de se faire brasser. »
Klaus, le groupe très rock de François Lafontaine, Simon Joly et Joe Grass, s’en chargera. Le rappeur montant Loud promet aussi de faire peur aux écureuils. « Et on peut être surpris, souligne Caroline. Charlotte Day Wilson, c’est loin d’être aussi smooth qu’on pense. »
La programmatrice souhaite ce qu’on a déjà eu l’an dernier : de la découverte ET de l’inoubliable. Les spectacles des Suzanne Vega et Patrick Watson, et même de Charlotte Cardin sous la pluie, font désormais partie de l’histoire de la musique dans le Mile End. Benoît Pinette n’a certainement pas oublié la belle heure de Tire le coyote sous le viaduc (il y est réinvité cette année), comme il se souvient encore de ses meilleurs moments dans le Mile End. «Ça remonte quand même à 2009, un spectacle de Bonnie Prince Billy à la Fédération ukrainienne ; ce fut mémorable ! Sinon, j’ai fait mon dernier lancement sur le toit d’Ubisoft, il y a près d’un an. Beau souvenir!» C’est le pari du Mile Ex End, deuxième du nom: beaux souvenirs à venir.
La programmation complète du Mile Ex End, y compris le troisième jour consacré aux humoristes, se trouve sur le site du festival (mileexend.com).