Le Devoir

Cultiver la planète à Montréal

Un tour du monde gastronomi­que au Jardin botanique

- ISABELLE PARÉ

En plein coeur de l’Afrique, on en mange les feuilles, les fruits, mais aussi les graines, les tiges. On en fait de l’huile, de l’engrais pour les champs, et même un précieux remède contre la malnutriti­on. Difficile d’imaginer que la moringa, plante nourricièr­e dans nombre de pays tropicaux, prospère à Montréal.

On retrouve cette rareté dans un coin méconnu du Jardin botanique, où l’on cultive la planète et surtout l’ouverture sur le monde. Trop de gens l’ignorent mais, loin des roseraies et du jardin chinois pris d’assaut par les touristes, un potager offre un tour du monde gastronomi­que à travers les effluves et les goûts de huit communauté­s ethniques venant de divers continents.

Dans ce potager multicultu­rel, créé par l’horticultr­ice Isabelle Paquin à l’occasion du 375e anniversai­re de la métropole, croissent des espèces végétales plus habituées aux latitudes tropicales qu’à nos contrées boréales.

Sous le soleil du mois d’août, Isabelle trime les feuilles d’un bananier, alors qu’un peu plus loin les plants géants de sorghos, d’amarantes et de quinoas dépassent déjà les têtes. « En allant à la rencontre de gens de diverses communauté­s de Montréal, j’ai appris beaucoup sur les aliments. Plusieurs m’ont mis sur la piste d’espèces qu’on ne connaît pas du tout ici, ou dont on ne connaît pas les divers usages », dit-elle.

Les recherches menées auprès de semenciers et même de collection­s de jardins botaniques à travers le globe ont permis de regrouper les spécimens de cette mosaïque végétale multicultu­relle. Après essais et erreurs, des semis ont été tentés, jusqu’à l’obtention des plants qui prennent maintenant leurs aises à deux battements d’ailes du Stade olympique.

Jardin des gourmets

À la mi-août, de gros plants de cacahuètes développai­ent déjà des arachides sous terre. Utilisés pour fabriquer contenants et instrument­s, les Lagenaria laissaient pendre gourdes et calebasses bien pansues, alors que les okras aux fleurs rappelant celles de l’hibiscus portaient d’appétissan­ts fruits violacés.

« Il y a parfois des immigrants qui s’arrêtent devant un plant et qui sont émus en reconnaiss­ant un légume qu’ils mangeaient, enfants, dans leur pays mais qu’ils n’avaient plus vu depuis. Ils se demandent où nous avons réussi à trouver des graines pour les faire pousser », raconte la jardinière.

Un petit détour du côté des plantes aromatique­s nous fait découvrir le pipicha, une herbe mexicaine utilisée pour parfumer les viandes et qui, contrairem­ent à ce que fait penser son nom, possède de délicieuse­s notes de citron et d’anis. Pas très loin, la feuille du papalo laisse sous la dent un puissant parfum. Idem pour le basilic africain, au goût musqué, et pour l’aubergine du même continent, dont on mange les fruits orange, mais aussi les feuilles.

« C’est un jardin pour les amateurs de bouffe, tellement il y a de saveurs réunies ici. La valeur culinaire ou nutritive de bien des plantes, comme le jute comestible, est méconnue de la plupart des gens », explique Isabelle. La balade gourmande se poursuit au potager indien, où mûrissent courges et radis serpents, pois chiches et basilic sacré. À deux pas, des plants de quinoas chargés de grains colorés brillent sous le soleil, alors qu’explosent comme des feux d’artifice les épis échevelés de divers spécimens d’amarante.

« L’amarante pousse dans toutes les conditions, note l’horticultr­ice. Elle porte bien son nom — qui signifie « immortelle » — car elle survit même au Round Up [NDLR : un puissant herbicide dont l’usage est très controvers­é]. Cette plante incroyable gagnerait à être redécouver­te pour ses fortes qualités nutritives. »

Isabelle cultive aussi une soixantain­e de variétés de tomates dans ce concentré des saveurs du monde, et presque autant d’espèces de piments prêts à enflammer les papilles des chefs qui viendront les goûter. La récolte tirée de ces potagers ira remplir les frigos de cuisines collective­s.

Sous les tropiques à Montréal

L’expérience démontre que bon nombre d’espèces exotiques peuvent prospérer l’été à Montréal, même si certaines doivent être démarrées en semis. « Nos étés sont devenus tellement chauds et humides, dit-elle, que la saison de croissance est assez longue pour obtenir des graines ou des fruits avant le gel. Notre but, c’est d’intéresser le public à ces plantes formidable­s, mais aussi de faire en sorte que les communauté­s qui vivent à Montréal sachent qu’il est très possible de faire pousser ici des plantes propres à leur alimentati­on et de trouver les graines chez la plupart des semenciers. »

 ?? PHOTOS MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? En plein coeur de Montréal, Isabelle Paquin, horticultr­ice au Jardin botanique, prend soin du bananier qui prospère au sein d’un des potagers multicultu­rels, riches d’espèces comestible­s issues des quatre coins de la planète.
PHOTOS MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR En plein coeur de Montréal, Isabelle Paquin, horticultr­ice au Jardin botanique, prend soin du bananier qui prospère au sein d’un des potagers multicultu­rels, riches d’espèces comestible­s issues des quatre coins de la planète.
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L’amarante pousse dans toutes les conditions. Cette plante incroyable gagnerait à être redécouver­te pour ses fortes qualités nutritives.
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Le pipicha
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Une gourde

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