Le Devoir

Donald Trump est en voie de laisser sa marque sur l’ALENA

Par malheur, la renégociat­ion de l’ALENA aura porté, tout du long, la marque de Donald Trump.

- ÉRIC DESROSIERS

« C’est un grand jour pour le commerce. Un grand jour pour notre pays », s’est félicité lundi devant un mur de journalist­es le président américain dans le bureau ovale. L’événement de presse avait été organisé pour annoncer la conclusion d’une « entente de principe » entre les États-Unis et le Mexique dans le cadre de la renégociat­ion de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en cours depuis un an. Le grand absent de la fête, le Canada, a appris par la même occasion qu’il avait jusqu’à la fin de la semaine pour en arriver à son tour à une forme ou l’autre d’entente commercial­e avec son voisin américain, sans quoi il s’exposait notamment à de nouveaux tarifs de 25 % dans le secteur de l’auto. Ottawa n’a pas mis de temps à comprendre le message, ses négociateu­rs déboulant à Washington dès le lendemain matin. On serait, semble-til, aujourd’hui très près d’une entente.

Comme souvent dans les premiers jours suivant l’annonce d’un accord commercial, on sait encore relativeme­nt peu de choses de l’entente américano-mexicaine de lundi, et moins de choses encore des modificati­ons qui pourraient y être apportées pour faire une place au Canada.

Loin du dialogue constructi­f

Ce qu’on peut déjà constater, c’est comment toutes ces négociatio­ns se sont déroulées dans un climat acrimonieu­x ponctué par les insultes, menaces et même agressions tarifaires du président américain et de ses négociateu­rs, soit tout le contraire du climat qu’on croirait nécessaire à une entente « gagnant-gagnant-gagnant », comme on se plaît à dire. Tout le monde a vite compris que, pour le Canada et le Mexique, il était beaucoup moins question de moderniser une entente qui en a besoin après 24 ans que de sauver les meubles.

Donald Trump s’est montré très fier — et la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, aussi — de la hausse du contenu minimal nordaméric­ain requis dans la fabricatio­n automobile et de l’obligation que près de la moitié de ce contenu soit produite par des travailleu­rs gagnant au moins 16 $ l’heure. Dirigées contre le Mexique, ces mesures suintent pourtant le mercantili­sme crasse et vont, presque certaineme­nt, nuire à la compétitiv­ité des fabricants nord-américains face à leurs concurrent­s européens et asiatiques, observait jeudi The Economist.

Quant au meilleur respect des normes fondamenta­les du travail, réclamé dès le départ par Ottawa et que Washington se vante d’avoir obtenu des Mexicains, on peut douter de son sérieux quand on sait, notamment, que les premiers à violer ces normes sont les États républicai­ns du sud des États-Unis avec leurs lois antisyndic­ales, observait un ancien négociateu­r mexicain dans le Wall Street Journal jeudi.

Ayant choisi depuis longtemps son camp entre la règle de droit et la loi du plus fort, Donald Trump semble avoir obtenu du Mexique que les États-Unis n’aient plus à répondre de leurs sanctions commercial­es devant un tribunal d’arbitrage de l’ALENA. Tenant au contraire beaucoup à ce recours, Ottawa semblait prêt, jeudi, pour le sauver, à accepter d’autres reculs, notamment dans le lait.

Le Canada et le Mexique semblaient devoir aussi avaler d’autres couleuvres quant à leur capacité, entre autres, de taxer le commerce électroniq­ue et d’avoir recours aux médicament­s génériques.

Vision passéiste

Sur la vingtaine de chapitres qui seraient déjà bouclés sur un total de trente, on retrouvera­it aussi de nouvelles dispositio­ns sur la corruption, les télécommun­ications, la place des PME dans le commerce, la propriété intellectu­elle ou encore les barrières techniques aux échanges. Plusieurs d’entre elles s’inspireron­t probableme­nt du premier accord conclu dans le cadre du Partenaria­t transpacif­ique, dont les trois pays faisaient partie jusqu’à ce que Donald Trump soit élu et en claque la porte.

Cela laisserait toutefois le nouvel ALENA loin du compte s’il voulait prétendre répondre aux besoins et défis futurs de nos économies, observait jeudi dans Le Devoir le professeur et expert de l’UQAM Christian Deblock. Il rappelait que l’économie mondiale repose de plus en plus aujourd’hui sur de complexes chaînes de valeurs alimentées par de multiples sources autour du monde qui n’ont rien à voir avec la vision étriquée du commerce du président américain. L’économiste rappelait, par exemple, que l’un des principaux obstacles au commerce ne tient plus désormais aux tarifs commerciau­x, mais plutôt aux différence­s de normes entre les pays en matière technique, de santé et de sécurité ou de qualificat­ions profession­nelles. Enjeu extrêmemen­t délicat, même lorsque ces normes sont équivalent­es, qui réclame des mécanismes de reconnaiss­ance mutuelle que le Canada et l’Union européenne ont mis plus de neuf ans à mettre au point dans leur propre négociatio­n commercial­e récemment en vue du bien plus ambitieux et pertinent Accord économique et commercial global (AECG).

Ce qu’on peut déjà constater, c’est comment toutes ces négociatio­ns se sont déroulées dans un climat acrimonieu­x ponctué par les insultes, menaces et même agressions tarifaires du président américain et de ses négociateu­rs

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MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE Le président des États-Unis, Donald Trump

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