Donald Trump est en voie de laisser sa marque sur l’ALENA
Par malheur, la renégociation de l’ALENA aura porté, tout du long, la marque de Donald Trump.
« C’est un grand jour pour le commerce. Un grand jour pour notre pays », s’est félicité lundi devant un mur de journalistes le président américain dans le bureau ovale. L’événement de presse avait été organisé pour annoncer la conclusion d’une « entente de principe » entre les États-Unis et le Mexique dans le cadre de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en cours depuis un an. Le grand absent de la fête, le Canada, a appris par la même occasion qu’il avait jusqu’à la fin de la semaine pour en arriver à son tour à une forme ou l’autre d’entente commerciale avec son voisin américain, sans quoi il s’exposait notamment à de nouveaux tarifs de 25 % dans le secteur de l’auto. Ottawa n’a pas mis de temps à comprendre le message, ses négociateurs déboulant à Washington dès le lendemain matin. On serait, semble-til, aujourd’hui très près d’une entente.
Comme souvent dans les premiers jours suivant l’annonce d’un accord commercial, on sait encore relativement peu de choses de l’entente américano-mexicaine de lundi, et moins de choses encore des modifications qui pourraient y être apportées pour faire une place au Canada.
Loin du dialogue constructif
Ce qu’on peut déjà constater, c’est comment toutes ces négociations se sont déroulées dans un climat acrimonieux ponctué par les insultes, menaces et même agressions tarifaires du président américain et de ses négociateurs, soit tout le contraire du climat qu’on croirait nécessaire à une entente « gagnant-gagnant-gagnant », comme on se plaît à dire. Tout le monde a vite compris que, pour le Canada et le Mexique, il était beaucoup moins question de moderniser une entente qui en a besoin après 24 ans que de sauver les meubles.
Donald Trump s’est montré très fier — et la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, aussi — de la hausse du contenu minimal nordaméricain requis dans la fabrication automobile et de l’obligation que près de la moitié de ce contenu soit produite par des travailleurs gagnant au moins 16 $ l’heure. Dirigées contre le Mexique, ces mesures suintent pourtant le mercantilisme crasse et vont, presque certainement, nuire à la compétitivité des fabricants nord-américains face à leurs concurrents européens et asiatiques, observait jeudi The Economist.
Quant au meilleur respect des normes fondamentales du travail, réclamé dès le départ par Ottawa et que Washington se vante d’avoir obtenu des Mexicains, on peut douter de son sérieux quand on sait, notamment, que les premiers à violer ces normes sont les États républicains du sud des États-Unis avec leurs lois antisyndicales, observait un ancien négociateur mexicain dans le Wall Street Journal jeudi.
Ayant choisi depuis longtemps son camp entre la règle de droit et la loi du plus fort, Donald Trump semble avoir obtenu du Mexique que les États-Unis n’aient plus à répondre de leurs sanctions commerciales devant un tribunal d’arbitrage de l’ALENA. Tenant au contraire beaucoup à ce recours, Ottawa semblait prêt, jeudi, pour le sauver, à accepter d’autres reculs, notamment dans le lait.
Le Canada et le Mexique semblaient devoir aussi avaler d’autres couleuvres quant à leur capacité, entre autres, de taxer le commerce électronique et d’avoir recours aux médicaments génériques.
Vision passéiste
Sur la vingtaine de chapitres qui seraient déjà bouclés sur un total de trente, on retrouverait aussi de nouvelles dispositions sur la corruption, les télécommunications, la place des PME dans le commerce, la propriété intellectuelle ou encore les barrières techniques aux échanges. Plusieurs d’entre elles s’inspireront probablement du premier accord conclu dans le cadre du Partenariat transpacifique, dont les trois pays faisaient partie jusqu’à ce que Donald Trump soit élu et en claque la porte.
Cela laisserait toutefois le nouvel ALENA loin du compte s’il voulait prétendre répondre aux besoins et défis futurs de nos économies, observait jeudi dans Le Devoir le professeur et expert de l’UQAM Christian Deblock. Il rappelait que l’économie mondiale repose de plus en plus aujourd’hui sur de complexes chaînes de valeurs alimentées par de multiples sources autour du monde qui n’ont rien à voir avec la vision étriquée du commerce du président américain. L’économiste rappelait, par exemple, que l’un des principaux obstacles au commerce ne tient plus désormais aux tarifs commerciaux, mais plutôt aux différences de normes entre les pays en matière technique, de santé et de sécurité ou de qualifications professionnelles. Enjeu extrêmement délicat, même lorsque ces normes sont équivalentes, qui réclame des mécanismes de reconnaissance mutuelle que le Canada et l’Union européenne ont mis plus de neuf ans à mettre au point dans leur propre négociation commerciale récemment en vue du bien plus ambitieux et pertinent Accord économique et commercial global (AECG).
Ce qu’on peut déjà constater, c’est comment toutes ces négociations se sont déroulées dans un climat acrimonieux ponctué par les insultes, menaces et même agressions tarifaires du président américain et de ses négociateurs