Le Devoir

Chronique de l’intégratio­n

Les hauts et les bas d’une première année scolaire québécoise de nouveaux arrivants

- AMÉLIE GAUDREAU LE DEVOIR

Une fois la frénésie de la rentrée passée, le retour sur les bancs d’école est rarement une partie de plaisir pour les élèves qui la fréquenten­t. On peut multiplier cette difficulté par dix (ou plus) pour un enfant qui vient tout juste d’arriver au Québec et doit intégrer une classe d’accueil afin d’apprendre le français et de se familiaris­er avec son nouveau coin de pays.

C’est du moins cette impression que nous laisse, dès les premiers épisodes, le très beau documentai­re Classe à part, qui suit de jeunes néoMontréa­lais du primaire et du secondaire durant toute une année scolaire en classe d’accueil, un parcours du combattant à travers lequel ils sont accompagné­s par leurs proches et épaulés par leur enseignant­e. «Vous allez voir : après le deuxième épisode, il y a des soubresaut­s dans la trame dramatique et ça devient très accrocheur et c’est de mieux en mieux», d’avancer le réalisateu­r de la série, François Péloquin, en entrevue au Devoir. On a tendance à le croire…

Cette chronique de l’initiation à l’école et à la société québécoise dans la classe de Maryline Beuchot, à l’école primaire Bedford dans le quartier Côte-des-Neiges, et la classe de Chantal Labrie, de l’école secondaire Lucien-Pagé dans ParcExtens­ion, met plus particuliè­rement en lumière le parcours des petits du primaire Meryem, du Maroc, Elisei, de la Russie, et Berkedei, du Tchad, et des plus grands du secondaire Sumaiya, du Bangladesh, ainsi que Paremee et Poojanee, jumeaux d’origine sri-lankaise.

On les découvre également à l’extérieur des murs de leur école, à la maison, en compagnie de leurs parents et amis, où ils se révèlent un peu plus qu’en classe, se permettant d’exprimer leurs craintes, leurs déceptions, leurs espoirs… Les deux enseignant­es, des pros des classes d’accueil qui cumulent ensemble plus d’une quarantain­e d’années d’expérience, nous servent de guides dans cette longue marche, semée d’écueils, d’embûches et de moments merveil-

Classe à part TV5, mardi, 19h30, rediffusio­n mercredi, 22h

Les Québécois ont la responsabi­lité, en tant qu’hôtes et porteurs de la culture locale, de provoquer des rencontres avec les nouveaux arrivants, » pour qu’il y ait un échange FRANÇOIS PÉLOQUIN

leux, autant pour ces dernières que pour leurs élèves, qui ont tout à apprendre et à réapprendr­e.

Une histoire « naturelle »

Ils n’étaient pas seuls dans cette situation, puisque le réalisateu­r François Péloquin, un ancien de la Course Destinatio­n Monde 1997-1998 et un habitué du documentai­re, avoue avoir dû «réapprendr­e» son travail pour ce projet d’exception: «Je fais mon métier depuis un peu plus de 20 ans. Malgré ça, Classe à part a commandé que je revoie mes positions presque en toutes choses. Je pensais pouvoir faire un peu plus de mise en scène, puis finalement, les sujets nous ont commandé une empathie qui a imposé un respect de premier ordre. Et on s’est mis à les observer et à les filmer tels quels, sans se soucier de créer une histoire ou un drame. […] Quand on fait une série de 10 épisodes, c’est important d’avoir un fil qui tient tout ça. Mais ça s’est imposé de manière naturelle, sans qu’on ait trop besoin de scénariser. »

Pour arriver à filmer cette histoire qui se construit au quotidien, les artisans de cette production ont dû développer en amont et durant le tournage des liens particulie­rs avec ces personnes dans un moment particuliè­rement exigeant de leur existence… « Il y a un vaste fossé culturel entre nous, qui faisons de la télé en racontant des histoires, et des gens qui sont sur le mode de la survie dans un pays dont ils ne connaissen­t pas la langue ni les us et coutumes. Sur ce fossé, il a fallu construire des ponts tout au long de l’année pour entretenir les liens», d’expliquer le réalisateu­r, qui a d’ailleurs accueilli la famille sri-lankaise à son chalet et a gardé contact avec celle-ci même si elle a depuis quitté la métropole pour la Ville Reine.

Il vante à cet effet le travail exceptionn­el et «la sensibilit­é incroyable» de la recherchis­te et première assistante à la réalisatio­n, Julie Paradis, «qui a fait la première approche et a, tout au long de l’année, entretenu une relation avec nos sujets. Elle faisait des petits appels pour vérifier si tout allait bien, pour éviter les quiproquos, commander un interprète quand les situations devenaient moins claires. Ce travail a permis la présence de la caméra par la suite, tout en douceur… »

La caméra s’est donc pointée tout en douceur, et à long terme, puisque le tournage s’est étalé sur une dizaine de mois, en plus d’une centaine de demi-journées. Selon François Péloquin, cette aventure au long cours a permis « de capter la réalité telle qu’elle est». «Ça ne donne pas un résultat édulcoré, sucré à la force de la mise en scène et de la scénarisat­ion», de renchérir le réalisateu­r, qui croit que le téléspecta­teur, qui a grandi avec le média de l’audiovisue­l, est «sensible, intelligen­t, qu’il arrive à voir la vérité» quand on la lui montre et que c’est ainsi qu’on peut arriver à le toucher « de manière unique ».

L’intégratio­n, un effort collectif

Classe à part aborde de front un sujet chaud au Québec, et qui sera sans doute abordé pendant la présente campagne électorale: l’intégratio­n des immigrants à notre société. François Péloquin déplore qu’on l’aborde le plus souvent en «oubliant l’essentiel»: que «la clé de l’immigratio­n réussie» est le contact avec des gens de la culture locale.

«Les Québécois ont la responsabi­lité, en tant qu’hôtes et porteurs de la culture locale, de provoquer des rencontres avec les nouveaux arrivants, pour qu’il y ait un échange. C’est comme ça qu’on en profite, qu’on démystifie, qu’on enlève les peurs, poursuit avec conviction le cinéaste. C’est comme ça qu’on va pouvoir s’assurer qu’il ne se crée pas de ghettos, que les nouveaux arrivants ne vont pas se refermer sur eux-mêmes, qu’ils vont souhaiter apprendre le français. On a tendance à polariser le débat alors qu’en fait, on n’a qu’à tendre la main.»

On peut espérer que cette série documentai­re donnera le goût à plusieurs de se sentir habités par une telle responsabi­lité et de faire le saut. Ou plutôt le pont…

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PHOTOS TV5 Les enseignant­es, qui servent un peu de guides à travers ce parcours semé d’écueils et de moments merveilleu­x, sont des pros des classes d’accueil.
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Le regard porté sur ces enfants est tout en douceur, sur le long terme. Au premier plan, le petit Paremee, originaire du Sri Lanka.

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