Le Devoir

Les promesses décortiqué­es: le difficile équilibre de la mobilité

Entre transports collectifs et projets autoroutie­rs, le coeur de la CAQ balance

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SSi la Coalition avenir Québec n’a jamais été reconnue pour ses ambitions en matière de mobilité durable, les choses sont en voie de changer. Portée par un mouvement plus grand qu’elle, la formation politique de François Legault a, en effet, depuis quelques mois, mis sur la table — ou repris à son compte — de nombreux projets qui pourraient, à terme, transforme­r la manière dont les gens se déplacent.

Transport collectif : priorité aux couronnes et à l’est de Montréal

Au coeur des engagement­s du parti se trouve un Plan de décongesti­on pour la région métropolit­aine. Dévoilé en grande pompe à la mi-juin, ce dernier propose une série de mesures — dont plusieurs en transport collectif — pour désengorge­r la grande région de Montréal. Et bien que, à long terme, les objectifs à atteindre ne soient pas vraiment quantifiés, la propositio­n de la CAQ souligne tout de même les lacunes du réseau actuel.

« Si on veut savoir où intervenir, on n’a qu’à regarder la proportion d’utilisateu­rs des transports en commun à l’heure de pointe », précise Florence Junca-Adenot, professeur­e au Départemen­t d’études urbaines de l’Université du Québec à Montréal. « Elle décroît considérab­lement à mesure qu’on s’éloigne des quartiers centraux montréalai­s. »

Les propositio­ns de la CAQ, concentrée­s dans l’est de Montréal et sur le territoire des couronnes de la métropole, répondent ainsi à un besoin évident. « Il y a un déséquilib­re entre les secteurs de la région métropolit­aine en ce qui concerne le transport collectif, soutient le porte-parole du parti en matière de transport et député de DeuxMontag­nes, Benoit Charette. Les idées que nous mettons sur la table visent à rendre les transports collectifs plus accessible­s pour tout le monde. »

En ce sens, l’idée d’implanter un tramway reliant la pointe de l’île au centre-ville ouvre un monde de possibilit­és. En mal d’options et souvent grand oublié des propositio­ns gouverneme­ntales, l’est de la métropole profiterai­t très certaineme­nt d’un pareil investisse­ment, affirme Florence Junca-Adenot. Un avis que partage Christian Savard, le directeur général de Vivre en ville. « Ça fait longtemps que les citoyens de ces quartiers revendique­nt d’être mieux desservis en transport en commun, souligne-t-il. C’est intéressan­t de voir les partis leur proposer des projets porteurs. »

Ce dernier voit toutefois d’un moins bon oeil le désir de la CAQ de prolonger le Réseau express métropolit­ain (REM) à Laval et jusqu’aux limites de la Montérégie, et ce, même si le projet permettrai­t d’offrir plus d’options en mobilité dans des secteurs où l’auto est reine. « Dans la mesure où le réseau de la ville centre est déjà complèteme­nt saturé, est-ce que ces prolongeme­nts sont vraiment prioritair­es ? demande celui qui occupe son poste depuis 2007. Je ne le crois pas. En plus, c’est une promesse qui risque d’encourager l’étalement urbain ! »

Présentée comme une solution pour désengorge­r le réseau montréalai­s, la ligne rose de Projet Montréal a, pour sa part, été écartée de la plateforme caquiste.

De toute façon, rien n’indique, pour le moment, que la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), maître d’oeuvre du projet, irait de l’avant avec une telle expansion. Plus tôt cet été, la CDPQ s’était montrée plutôt prudente, refusant de confirmer ou d’infirmer la faisabilit­é de la propositio­n. Interrogée à nouveau sur la question, elle a, cette fois, répondu qu’elle préférait ne pas se mêler au débat politique en cours.

Toujours dans l’optique d’améliorer la desserte des population­s de la RiveNord et de la Rive-Sud, la Coalition projette également l’implantati­on d’un réseau structuran­t sur le boulevard Taschereau, une idée qui a d’ailleurs trouvé un écho dans les récentes revendicat­ions de l’agglomérat­ion de Longueuil. « C’est une bonne chose qu’on commence à penser le transport collectif d’est en ouest, soutient Florence Junca-Adenot, également directrice du Forum URBA 2015. Ce n’est plus vrai que les déplacemen­ts se concentren­t uniquement vers le centre de la métropole, il faut donc agir en conséquenc­e. »

Projets autoroutie­rs : entre développem­ent et étalement

Refusant de se positionne­r clairement contre l’auto solo, la CAQ a également pris soin de proposer toute une série de projets routiers, tant dans la région métropolit­aine que dans celle de la Capitale-Nationale. Et elle parle ici de plus que de simples mises à niveau d’infrastruc­tures (bien que celles-ci soient aussi au programme). De fait, le parti entend, entre autres choses, prolonger les autoroutes 13 et 19 au nord de Montréal, élargir l’autoroute 30 sur la RiveSud et aller de l’avant avec la mise en chantier d’un troisième lien entre Québec et Lévis. «Dans certains cas, ce sont des projets qui sont sur la table depuis les années 1970, lance sans ambages le député Benoit Charette. Nous avons rencontré les représenta­nts des milieux concernés et les besoins sont clairs : ces liens sont nécessaire­s pour assurer la vitalité et le dynamisme économique de ces secteurs. »

Les experts interrogés par Le Devoir s’expliquent toutefois bien mal ces visées routières, rappelant avec insistance que « l’ajout ou l’élargissem­ent d’une autoroute ne peut jamais contribuer à réduire la congestion ». « C’est tout le contraire qui arrive en fait, soutient Marie-Hélène Vandersmis­sen, professeur­e au Départemen­t de géographie de l’Université Laval. L’ajout d’infrastruc­tures routières a toujours pour effet d’augmenter la congestion routière. Je ne vois pas pourquoi les banlieues de Montréal ou de Québec seraient différente­s des autres villes du monde. »

Plus encore, soutient cette spécialist­e de la géographie des transports, de tels projets risquent, à moyen terme, de favoriser l’étalement urbain, un phénomène que les partis politiques devraient plutôt essayer d’endiguer. Même son de cloche du côté de Christian Savard, de Vivre en ville: «Au lieu de promettre des infrastruc­tures pour encourager le développem­ent de nouveaux territoire­s, on devrait plutôt repenser l’utilisatio­n de ceux qu’on occupe déjà ! »

Financemen­t : une place pour le privé ?

Chose certaine, s’ils souhaitent être présents sur tous ces fronts, les caquistes n’auront d’autre choix que de trouver de nouvelles sources de financemen­t, les fonds actuelleme­nt disponible­s dans le Plan québécois des infrastruc­tures (PQI) étant loin d’être suffisants pour assurer la mise en oeuvre de l’ensemble des projets promis. « Le Programme québécois des infrastruc­tures est au beau fixe depuis déjà quelques années et les municipali­tés ont de moins en moins de moyens, souligne Florence Junca-Adenot. S’ils sont sérieux, les partis politiques devront être innovants pour trouver de l’argent frais. »

Questionné à ce sujet, Benoit Charette, de la CAQ, a indiqué que des partenaria­ts avec le privé, comme celui établi avec la CDPQ pour le REM, pourraient être envisagés dans l’avenir. Une idée qui, si elle peut sembler tentante à première vue, devrait être considérée avec prudence, selon les experts interrogés par Le Devoir. « Il faut garder en tête que le privé veut faire du profit, c’est sa raison d’être », insiste Florence Junca-Adenot, également directrice du Forum URBA 2015. « Le transport collectif n’est pas le secteur le plus rentable… Au bout du compte, il y a donc toujours quelqu’un qui paye plus. »

Transport régional : place aux idées

Le transport régional demeure le talon d’Achille de presque tous les partis politiques engagés dans cette campagne électorale, et la CAQ ne fait pas vraiment exception à la règle. Ainsi, hormis un soutien clair pour le transport aérien interrégio­nal, la formation politique n’a encore rien mis sur la table pour les régions en matière de transport. Interrogé à ce sujet, Benoit Charette a indiqué que des discussion­s étaient en cours pour améliorer la desserte ferroviair­e dans certains secteurs plus éloignés. Du transport sur demande et du covoiturag­e intelligen­t pourraient également être envisagés. « Nous sommes ouverts aux propositio­ns. On veut que les régions sachent que nous sommes à l’écoute. »

L’ordre des analyses a été déterminé par un tirage au sort. Il est à noter que, comme la campagne électorale est toujours en cours, il est possible que de nouvelles annonces en transport soient faites dans les prochaines semaines.

Enjeux phares de la campagne électorale en cours, la mobilité et les transports sont au coeur des débats et des récentes annonces des principale­s formations politiques québécoise­s. Mais ces promesses ont-elles de quoi tenir la route après le 1er octobre ? Le Devoir amorce aujourd’hui une série de quatre articles, un par parti, pour faire le point. Cette semaine : la Coalition avenir Québec. FLORENCE SARA G. FERRARIS LE DEVOIR L’ajout d’infrastruc­tures routières a toujours pour effet d’augmenter la congestion routière. Je ne vois pas pourquoi les banlieues de Montréal ou de Québec seraient différente­s des autres villes du monde. MARIE-HÉLÈNE VANDERSMIS­SEN

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CDPQ INFRA / GETTY IMAGES / JACQUES NADEAU LE DEVOIR La CAQ veut prolonger le Réseau express métropolit­ain (REM) à Laval et jusqu’aux limites de la Montérégie, de même que les autoroutes 13 et 19 au nord de Montréal, élargir l’autoroute 30 sur la Rive-Sud et mettre en chantier un troisième lien entre Québec et Lévis.
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François Legault

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