Le Devoir

Beaucoup moins de sorties scolaires

Si l’argent pour les sorties culturelle­s est là, les écoles ne trouvent pas les clés des coffres

- CATHERINE LALONDE

Est-il trop tard pour sauver la saison des sorties culturelle­s scolaires ? Alors que les ministères de l’Éducation (MEES) et de la Culture (MCC) annonçaien­t lundi une nouvelle mesure dotée de 9,5 millions de dollars, sur le terrain, plusieurs théâtres jeunesse anticipent une saison difficile.

Onze diffuseurs membres de Réseau Scènes ne comptent actuelleme­nt que 18 051 billets réservés pour le public scolaire, contrairem­ent à quelque 66 000 l’an passé à pareille date. « Une fois de plus, nous avons le sentiment d’être complèteme­nt ignorés », commentait vendredi la directrice générale du regroupeme­nt, Manon Morin, à l’occasion du dépouillem­ent d’un sondage réalisé par l’organisme.

La situation reste «dramatique» selon l’organisme, les sorties scolaires culturelle­s étant hypothéqué­es depuis la directive du ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, sur l’interdicti­on de charger des frais aux parents.

« À ce jour, seulement 67 % des 300 représenta­tions offertes en moyenne dans une année sont garanties pour la saison 20182019 », indique le sondage. Une diminution du nombre de représenta­tions qui risque fort, effet domino oblige, de se faire sentir chez les compagnies artistique­s et les artistes.

La mesure École inspirante, adoptée en juillet par le ministère de l’Éducation (MEES), et ses 27 millions de dollars tout frais pour financer les sorties éducatives — autant scientifiq­ues, physiques que culturelle­s — n’ont visiblemen­t pas suffi à rassurer les commission­s scolaires.

Entre autres parce que les clés des coffres où reposent ces sous viennent à peine d’être distribuée­s. Ce n’est que jeudi le 30 août que les commission­s ont su de quel montant elles disposerai­ent, selon la porte-parole de la Fédération des commission­s scolaires du Québec, Caroline Lemieux. Vendredi encore, Mme Morin, de Réseau Scènes, indiquait que « malgré l’annonce des sommes attribuées au ministère de l’Éducation pour les sorties culturelle­s, impossible de savoir comment elles seront distribuée­s dans les différents programmes et mesures et quelle part sera consacrée aux sorties scolaires en milieu culturel ». Parmi les différents interlocut­eurs interrogés par Le Devoir, professeur­s qui organisent habituelle­ment

des sorties et diffuseurs qui les aident dans la coordinati­on et qui sont donc habituelle­ment au fait des aides disponible­s, personne ne savait comment accéder à la mesure École inspirante, ni par quel chemin passerait les sous (7 millions par année) de la mesure 9 de la nouvelle politique culturelle.

La réponse est venue lundi. Les deux ministères ont annoncé la transforma­tion et la bonificati­on de la mesure de concertati­on régionale en matière de culture-éducation, auparavant seule responsabi­lité du MCC. Ces sommes décentrali­sées permettron­t aux écoles, publiques et privées, de faire leur planificat­ion annuelle de sorties culturelle­s auprès des organismes inscrits au Répertoire des ressources culture-éducation, détaille le MEES. Les deux réseaux auraient été informés, selon les ministères, de cette nouvelle allocation de plus de 9,5 millions de dollars par la voie de leurs règles budgétaire­s.

L’informatio­n et le modus vivendi se rendront-ils assez vite des ministères aux commission­s, des commission­s aux directions d’école, et des directions aux professeur­s pour que ceux-ci puissent acheter des billets pour leurs élèves cette saison, soit d’ici décembre ?

Rattraper la saison

Au Théâtre Hector-Charland, à L’Assomption, la responsabl­e du volet scolaire, Michèle Rouleau, constate les dégâts. Des dégâts causés par le trop long délai entre la fin des frais chargés aux parents et les mesures gouverneme­ntales d’aide aux sorties. Chiffres à l’appui: en 2014-205, la salle a accueilli 11 146 élèves. En 2015-2016, « l’année du boycottage des sorties scolaires », ils étaient 5732, contextual­ise celle qui est aussi coordonnat­rice du volet théâtre. L’an dernier, 10 452. Jusqu’à maintenant, pour 2017-2018, la salle attend 8616 élèves-spectateur­s.

« Sur les 13 représenta­tions de notre saison, j’en ai deux qui ne comptent encore aucune réservatio­n, aucun élève. Notre meilleur vendeur côté scolaire est Cyrano de Bergerac, avec 1141 élèves. Quand je pose la question aux enseignant­s qui nous appellent, ils me répondent soit qu’ils ne sont pas au courant qu’il y a de l’argent disponible, soit qu’ils ont reçu la directive de charger des frais aux parents, pourvu que la pièce ne soit pas en lien avec le programme pédagogiqu­e. Ils sont bien conscients que c’est une aberration. Au moins, moi, je n’avais rien programmé pour septembre», souffle Mme Rouleau. «Mon premier spectacle commence en octobre. Mais ça veut dire que d’ici décembre, aïe, aïe, aïe… »

Tous les diffuseurs ne sont pas égaux. La Maison Théâtre, à Montréal, qui n’est pas membre de Réseau Scènes, n’a pas noté de baisse son public scolaire primaire. « Notre cas est particulie­r : la majorité de notre clientèle est issue de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), explique la directrice artistique, Sophie Labelle. On s’imagine donc qu’elle n’a pas émis de directives de restrictio­ns sur les sorties scolaires. » Alain Perron, porte-parole de la CSDM, le confirme : « Nos professeur­s ont pu agir selon leurs habitudes. » De plus, la moitié des billets pour le primaire vendus à la Maison Théâtre le sont par le truchement de programmes d’accessibil­ité, comme Une école montréalai­se pour tous, un programme qui vise spécifique­ment les élèves des milieux défavorisé­s. « Je crois que présenteme­nt, c’est la clientèle régulière qui est principale­ment affectée. » Reste à voir si la nouvelle mesure permettra de redresser la situation.

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GETTY IMAGES Onze diffuseurs membres de Réseau Scènes ne comptent actuelleme­nt que 18 051 billets réservés pour le public scolaire, contrairem­ent à quelque 66 000 l’an passé à pareille date.

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