Le Devoir

Le temps retrouvé de Gautier Battistell­a

Retour en force de l’auteur d’Un jeune homme prometteur, Prix Québec-France Marie-Claire Blais

- DANIELLE LAURIN

Jusqu’à quel point peut-on effacer son passé, le réinventer ? C’est le genre de question qui hante l’auteur français Gautier Battistell­a. Et en bon romancier, il n’y répond pas directemen­t.

Ce que l’homme a cru voir, le titre de son 2e opus, emprunté à un vers du Bateau ivre de Rimbaud, fait planer le mystère et joue sur l’ambiguïté. « Je voulais laisser supposer aux lecteurs qu’il y avait dans mon roman une reconstruc­tion de la réalité, mais juste laisser supposer… », indique Gautier Battistell­a, barbe de deux jours, sourcils arqués et gestes amples.

« Je voulais surtout laisser poindre l’idée que la réalité donnée à lire dans mon roman n’est peutêtre pas la vérité », poursuit le jeune quadragéna­ire, découvert il y a quatre ans avec Un jeune

homme prometteur. Un roman dense, intense et… prometteur, qui lui avait valu pas moins de trois prix du premier roman, dont le Québec-France Marie-Claire-Blais.

Le héros de Ce que l’homme a cru voir, Simon, fin trentaine, porte en lui un secret inavouable. Dans sa jeunesse, il a commis l’irréparabl­e. Mais il a toujours refusé de voir la réalité en face. Il s’est inventé de faux souvenirs, auxquels il a cru instantané­ment.

« Simon s’est fabriqué une innocence, il s’est reconstrui­t dans ce qu’il a cru voir et non pas dans ce qu’il a vu », précise avec une pointe d’accent du Sud l’auteur rencontré à Paris, sa ville d’adoption après une enfance passée dans la région de Toulouse, tout comme son héros.

Après vingt ans à Paris, Simon retourne sur ses terres, à la suite d’un coup de fil lui annonçant la mort imminente d’un ami d’enfance. Le passé qu’il avait fui va ressurgir. Lui qui a pour métier

Les chargés de cours sont de plus en plus nombreux au sein du personnel enseignant dans les université­s canadienne­s. Et la précarité cause d’importants problèmes de santé mentale pour la très grande majorité d’entre eux, révèle un rapport de l’Associatio­n canadienne des professeur­es et professeur­s d’université (ACPPU) rendu public aujourd’hui.

Entre 2005 et 2015, le nombre de professeur­s permanent a diminué de 10 %, alors que le nombre de chargés de cours a bondi de 79 %, peut-on lire

dans le rapport De l’ombre à la lumière : les expérience­s du personnel académique contractue­l.

«Les postes non permanents sont, pour les établissem­ents d’enseigneme­nt postsecond­aires, un moyen détourné de se soustraire aux engagement­s continus sur le plan des salaires, des avantages sociaux et du développem­ent de carrière auxquels ils sont tenus à l’endroit des employés à temps plein permanents», écrivent les auteures du rapport.

Karen Foster, professeur­e agrégée au Départemen­t de sociologie et d’anthropolo­gie sociale de l’Université de Dalhousie, et Louise Birdsell Bauer, agente de recherche à l’ACPPU, ont sondé plus de 2600 chargés de cours travaillan­t dans des collèges et des université­s canadienne­s l’automne dernier pour tenter de faire la lumière sur leur situation.

Les membres du personnel universita­ire contractue­l sont des « travailleu­rs très compétents et engagés, mais qui sont sous-payés, croulent sous le travail, manquent de ressources et qui sont laissés de côté dans les établissem­ents postsecond­aires au Canada », résument-elles.

La majorité d’entre eux passent d’un contrat à l’autre depuis plus de cinq ans, certains même depuis plus de vingt ans. Et ce n’est pas par choix. Ils aspirent généraleme­nt à faire carrière en tant que titulaires d’un poste à temps plein.

Santé mentale

La sécurité d’emploi est leur principale préoccupat­ion. Et cette précarité leur cause une source de stress considérab­le, ajoute-t-on.

Ainsi, 87% des répondants estiment que leur emploi a eu des répercussi­ons négatives sur leur santé mentale, caractéris­ée notamment par l’anxiété chronique.

«Ce résultat est troublant, affirme David Robinson, directeur général de l’ACPPU. Nous savions, évidemment, que lorsqu’un employé a un emploi précaire, qu’il ne sait pas si son contrat va être renouvelé alors que c’est sa source première de revenu, ça met beaucoup de stress sur une personne et sa famille. Mais nous ne savions pas que les problèmes de santé mentale étaient à ce point répandus dans la profession. »

L’insécurité amène plusieurs d’entre eux à prendre «tout ce qui se passe » de peur de se retrouver sans revenu, « alternant surcharge de travail et chômage ».

Ils sont nombreux également à se sentir «méprisés», «humiliés» ou « marginalis­és » à cause de leur statut de contractue­l.

Ils ressentent une « contradict­ion entre le prestige de l’université et leur situation précaire au sein de cette université ». Ainsi, lorsqu’ils sont questionné­s sur leur emploi, plusieurs restent flous sur la nature exacte de leur travail, se sentant « gênés » par leur situation.

Revenus instables

« La plupart des gens supposent que je suis un professeur permanent vu mon âge, mon expérience et mes études, que je gagne bien ma vie […] ils ne se doutent pas que ma famille vit presque dans la pauvreté, que nos services d’électricit­é et de gaz naturel sont souvent coupés parce que je suis incapable de payer les factures », raconte un chargé de cours de façon anonyme dans le rapport.

Le rapport indique également que « le genre et la race avaient une incidence sur le revenu », ces deux groupes étant surreprése­ntés dans les échelons salariaux inférieurs.

À peine 19 % des répondants soutiennen­t que leur établissem­ent d’ensei- gnement est un « employeur modèle ».

À l’Associatio­n canadienne des professeur­es et professeur­s d’université, on demande à ce que les gouverneme­nts provinciau­x légifèrent pour contrer cette «stratégie» des université­s qui consiste à remplir les classes avec de la « main-d’oeuvre à bon marché ».

David Robinson donne en exemple des pays d’Europe, où des lois empêchent un employeur d’embaucher une personne à contrat à répétition, l’obligeant à lui offrir un poste après un certain nombre d’années.

« Quand on a des chargés de cours qui sont encore à contrat après vingt ans, c’est la preuve qu’on a un problème, conclut le directeur général. Les gens ne sont pas nécessaire­ment au courant, mais ce rapport démontre clairement qu’il y a de grandes disparités économique­s et sociales, et que cela a de grands impacts sur la vie des gens. »

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SOURCE: GRASSET Le romancier français Gautier Battistell­a
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GETTY IMAGES Parmi les chargés de cours ayant participé à l’étude, 87 % estiment que leur emploi a eu des répercussi­ons négatives sur leur santé mentale, caractéris­é notamment par l’anxiété chronique.

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