Campagne terne, rentrée difficile
L’enjeu du transport collectif est à la remorque de la santé et de l’éducation dans la campagne électorale. Dans la région métropolitaine, les électeurs découvriront dans les prochaines semaines, rentrée oblige, que cet enjeu est plus important qu’il n’y paraît à première vue pour leur santé, pour leur qualité de vie, pour la lutte contre les changements climatiques et pour l’amélioration de la productivité. En gros, ce sera l’anarchie sur les routes. Quelle surprise! L’effet combiné des chantiers du Réseau électrique métropolitain (REM), de l’échangeur Turcot, du pont Champlain et de l’autoroute Bonaventure viendront empoisonner la vie des automobilistes. Et c’est sans parler des mille et un chantiers de réfection des canalisations d’égout qui font le charme indiscret de Montréal, et qui occasionnent leur lot de détours et de retards.
Les solutions de rechange ? Elles sont limitées. Quiconque n’a pas la chance de vivre près d’une ligne de métro ou d’un service d’autobus digne de ce nom sait à quel point l’organisation du transport collectif est déficiente dans la région métropolitaine. C’est le double résultat de politiques d’occupation du territoire qui ont favorisé l’étalement urbain et le tout à l’auto, et d’un sous-investissement chronique dans les projets lourds et durables de transports collectifs. Sur l’île de Montréal, le dernier prolongement du métro sur la ligne bleue remonte à trente ans ! L’expansion annoncée de cette ligne vers Anjou représentera une bien modeste avancée, qui n’effacera pas l’impression de surplace. Pour l’heure, il n’y a qu’un seul projet structurant en cours de réalisation, le REM, et celuici aura un impact limité sur l’amélioration de la fluidité lorsqu’il sera terminé.
Ainsi, il ne faut pas s’étonner de l’ampleur des demandes d’investissements dans les transports collectifs formulées par des maires et des groupes environnementalistes : prolongement du métro à Longueuil et aménagement d’un tramway et d’un réseau d’autobus rapides, projet de la ligne rose à Montréal, bouclage de la ligne orange dans l’ouest, pour relier les stations Côte-Vertu à Saint-Laurent et Montmorency à Laval, tramway à Québec et ainsi de suite. Si les demandes semblent exorbitantes, c’est parce qu’elles émergent au milieu d’un champ de ruines. L’agglomération de Longueuil, pour ne nommer que celle-ci, n’a pas connu d’investissement structurant en transports collectifs depuis que le métro a fait son saut de puce sous le fleuve. C’était en 1967, l’année de l’Expo…
Depuis le début de la campagne, les partis font ce qu’ils savent faire de mieux, c’est-à-dire promettre ici et là des projets destinés à séduire des segments de l’électorat : un grand déblocage au profit de l’est de Montréal et un « Tinder » du covoiturage pour le Parti québécois (PQ), un troisième lien (avec ou sans péage) pour le Parti libéral du Québec (PLQ) et la Coalition avenir Québec (CAQ), et ainsi de suite. Le climat est propice à des remises en question. Après avoir boudé la ligne rose de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, le premier ministre, Philippe Couillard, voit maintenant le bien-fondé de ce projet.
Dans ce ballet mal chorégraphié d’annonces à la pièce, les propositions de Québec solidaire se démarquent : la formation de gauche propose d’investir un total de 13,3 milliards dans les infrastructures favorisant les transports collectifs, dans une perspective de développement durable. À l’inverse, les trois autres formations semblent investies dans une stratégie délicate visant à faire la promotion des projets de transports collectifs sans donner l’impression de pénaliser les automobilistes.
Il est regrettable de constater l’absence d’une réflexion politique reliant les investissements en transports collectifs à notre mode d’occupation du territoire. Selon une étude récente du Conseil canadien d’urbanisme, une proportion de plus en plus importante de Québécois et de Canadiens vivent dans des banlieues, et ils dépendent de l’automobile pour leurs déplacements. Le parc automobile a ainsi augmenté de 20 %, entre 2006 et 2016, alors que la population a augmenté de 11 %. Ce phénomène touche Montréal en particulier. En dix ans, 83 % de la croissance démographique de la région a été réalisée dans les banlieues proches ou éloignées, comparativement à 67,5 % pour la moyenne canadienne. Le citoyen moderne est un banlieusard, et sa quête de tranquillité l’amène toujours plus loin des centres urbains, en quête de terrains disponibles ou de maisons abordables.
Sans une stratégie de densification du territoire, les investissements en transports collectifs, aussi mirobolants soient-ils, ne permettront pas d’améliorer la mobilité durable dans la métropole. Les chefs font bien de parler de transports collectifs. Ils devraient en parler davantage, en reliant le tout à un questionnement sur nos choix d’occupation du territoire, et sur les stratégies à mettre en avant pour densifier les zones urbaines.