Le Devoir

Pour une mise à jour du projet d’indépendan­ce

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Francis Boucher Auteur de La grande déception. Dialogue avec les exclus de

l’indépendan­ce, Éditions Somme toute, 2018. Panéliste à l’émission Mordus de politique, sur RDI

Il faut saluer l’expulsion manu militari de Pierre Marcotte du Parti québécois par son chef, Jean-François Lisée, la semaine dernière. Celui-ci, dès que ses propos ont été mis en lumière par le blogueur Xavier Camus, a immédiatem­ent condamné les propos de son candidat. Toutefois, une question, lancinante, demeure : comment se fait-il qu’un islamophob­e aux propos grossiers et violents ait pu penser que sa maison, c’est le Parti québécois ?

Se peut-il que certains souveraini­stes, dont Jean-François Lisée (rappelons-nous ses propos sur les kalachniko­vs cachées sous les burkas et son refus d’utiliser le mot « islamophob­e »), aient parfois pu donner à boire et à manger aux personnes qui, comme M. Marcotte, voient dans l’islam le mal absolu ? Je crois malheureus­ement que oui. Depuis une dizaine d’années, un virus est apparu dans le corps souveraini­ste. Ce virus focalise toute son attention sur la religion musulmane, jugée responsabl­e du malaise identitair­e québécois.

Pour contrer ce virus, des indépendan­tistes ont appliqué un remède imaginaire, dont les effets secondaire­s se font encore sentir aujourd’hui : la charte des valeurs. Tout particuliè­rement la clause visant à interdire le port de signes religieux (lire le voile islamique) dans la fonction publique. Ceux qui pensent qu’il s’agit d’une affaire réglée, que c’est dans le passé, n’en parlons plus, feraient mieux de se raviser. Les secousses sismiques de ce projet mal avisé se font encore sentir.

Pour la rédaction de mon livre La grande déception – Dialogue avec les exclus de l’indépendan­ce, je suis allé à la rencontre de personnes, toutes issues des « communauté­s culturelle­s », pour qu’elles me parlent de leur rapport à l’indépendan­ce et aux indépendan­tistes, dans le contexte post-charte. Leurs propos sont saisissant­s. Qu’ils soient musulmans ou non, leurs blessures sont profondes. Les personnes que j’ai rencontrée­s, qu’elles se nomment Bachir, Rosa, Jody, Adis ou Samira, aiment profondéme­nt le Québec, mais elles en ont assez d’être prises pour cibles. Elles nous disent: «L’indépendan­ce, pourquoi pas ? Mais lâchez-nous ! Respectez qui nous sommes. »

Comme le prédisait déjà Jacques Parizeau en 2013, nous, indépendan­tistes, avons créé une machine à fabriquer des fédéralist­es. Nous avons renforcé le sentiment, parmi beaucoup de nos compatriot­es issus de la diversité, que le Canada était leur véritable patrie. Que l’unifolié saurait les protéger contre les indépendan­tistes. La phrase: «J’ai peur des souveraini­stes » est revenue à plusieurs reprises dans la bouche des personnes interrogée­s pour mon livre. Quel gâchis.

Pour les indépendan­tistes, la présente élection est une élection perdue. Québec solidaire ne prendra pas le pouvoir et, même si le Parti québécois remportait une majorité de sièges, il s’est engagé à tenir un référendum dans un très hypothétiq­ue deuxième mandat. On peut s’en attrister. C’est mon cas.

Toutefois, on peut le voir sous un autre angle. Cette crise peut être l’occasion pour le mouvement (y a-t-il encore véritablem­ent un mouvement?) de faire son aggiorname­nto. Autrement dit, de se pencher sur la pente douce sur laquelle les indépendan­tistes officiels ont entrepris de nous faire descendre. Pente qui, si l’on se fie aux sondages, n’a pas fait augmenter d’un iota l’option souveraini­ste.

Soyons clairs. Pierre Marcotte n’est pas seul à gangréner le mouvement indépendan­tiste dont je me fais une très haute idée.

Est-il trop tard pour agir ? Je ne pense pas. Il faudra du temps, évidemment, mais aussi beaucoup de volontaris­me. Il ne s’agit pas pour les indépendan­tistes de se lancer à corps perdu dans le modèle multicultu­rel à la canadienne. Il serait mortifère pour notre petite nation. Il s’agit plutôt de reconnaîtr­e et d’embrasser la diversité et de lui faire une place digne, à la hauteur de ce qu’elle a apporté (la diversité ne date pas d’hier) et de ce qu’elle continue à donner au Québec. Pour le bien de l’idée d’indépendan­ce. Pour le bien du Québec.

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