L’art littéraire du retournement
d’effacer le passé gênant et les mauvaises réputations des individus sur l’espace numérique pour leur offrir un avenir va devoir affronter ses propres démons. Et sa mauvaise réputation. Avant de se projeter dans le futur.
Le livre, qui donne lieu à des retournements inattendus, est divisé en deux parties. La première au il, complexe, déconcertante par moments ; la deuxième au je, plus fluide. De l’une à l’autre, ce que l’on croyait acquis est remis en question.
« Dans la première partie, j’ai volontairement voulu créer un personnage assez métallique, reptilien», souligne Gautier Battistella. Coupé de ses sentiments, distant avec les autres, y compris avec sa femme, autant dire que Simon n’inspire pas d’emblée la sympathie.
« Je trouve que les personnages qui ne sont pas sympathiques sont plus passionnants en littérature, poursuit le romancier. On dit souvent que plus le lecteur trouve le personnage sympathique, plus il va aimer le livre, mais est-ce qu’on est tous sympathiques dans la vie ? Est-ce qu’on sait comment on réagirait dans telle ou telle situation, face à un drame insurmontable ? »
Il fait remarquer aussi que, chemin
faisant, notre perception de Simon, enfant mal aimé, va changer. « On va se rendre compte que cet homme a une âme. Que derrière celui qui semblait si sûr de lui, c’est quelqu’un qui est dans un état de souffrance et de mensonge, qui se bourre de médicaments comme s’il essayait en permanence d’éponger la douleur. »
Finalement, à l’intérieur de luimême, cet homme est demeuré un enfant, plaide l’écrivain. « Il n’a pas grandi, il est resté l’enfant fébrile qui demandait tellement à être aimé par sa mère, par son petit frère. Il croit avoir mis tout ça derrière, mais la ligne de rupture est aussi mince qu’une couche de glace. Il suffit d’un coup de fil pour que tout se fissure. »
Retour du fils prodigue, après vingt années de douleur, d’effacement, de réinvention du passé, Ce que l’homme a
cru voir. Drame familial, qui traite de mémoire fracassée. Et de culpabilité. Mais aussi de la possibilité du pardon, de la rédemption.
« J’aime bien me dire qu’on n’est pas condamné à vie, souligne Gautier Battistella. J’aime bien me dire qu’il y a une possibilité d’espoir, même pour ceux qui ont commis des erreurs. J’aime l’idée de l’espoir. »
Ce que l’homme a cru voir
Gautier Battistella, Grasset, Paris, 2018, 240 pages