Édith Patenaude met en scène les coulisses du conflit israélopalestinien
Chez Duceppe, Édith Patenaude met en scène les négociations qui ont mené aux célèbres accords d’Oslo, en 1993
Au cours de la dernière décennie, Édith Patenaude a démontré un intérêt marqué pour les sujets de société, des réseaux sociaux (Le iShow) au transhumanisme (Post humains) en passant par les adolescentes en fugue (Invisibles).
Mais s’il est un thème qui domine la démarche de la metteuse en scène, c’est sans contredit celui des conflits sociopolitiques. Ainsi, après L’absence de guerre de David Hare, 1984 de George Orwell, Far Away de Caryl Churchill et Titus de Shakespeare, la femme de théâtre se mesure ces jours-ci à Oslo, un texte de J. T. Rogers à propos du conflit israélo-palestinien, un suspense politique créé à New York en 2016 et bardé de prix.
À échelle humaine
Ce spectacle, le premier qu’Édith Patenaude signe chez Duceppe, c’est aussi celui qui ouvre la première saison des nouveaux codirecteurs artistiques de la maison, David Laurin, également traducteur de la pièce, et Jean-Simon Traversy. « Ils ont probablement pensé à moi à cause de mon travail sur
L’absence de guerre, explique la metteuse en scène. La pièce de David Hare entraînait le spectateur dans les coulisses d’une campagne électorale du Parti travailliste britannique au début des années 1990.
Disons qu’il y a plusieurs similitudes entre le texte de Hare et celui de Rogers. Dans les deux cas, ce sont des sujets qui paraissent arides — les négociations, la politique, la diplomatie —, mais qui sont traités de manière si vivante, si dynamique, si haletante que c’est inconcevable de s’ennuyer, que c’est impossible de ne pas se sentir concerné. »
Ainsi, Oslo, dont l’écriture a nécessité à J. T. Rogers deux années de recherches, d’entrevues et de voyages, met en scène, dans un savant mélange de réel et de fiction, des négociations clandestines entre l’État d’Israël et l’Organisation de libération de la Palestine, celles-là mêmes qui ont mené à la signature des célèbres accords d’Oslo en 1993.
Au coeur de la pièce, un couple de diplomates norvégiens privilégiant le « gradualisme », autrement dit de lents pourparlers se déroulant dans l’intimité, loin des caméras et des avocats, en traitant un enjeu à la fois et en s’assurant que les interlocuteurs fraternisent, en somme qu’ils développent un rapport personnel.
« C’est ce qui rend la pièce si intéressante, précise Édith Patenaude, cette façon de représenter la jonction entre l’individu et le collectif, l’intime et le politique, la passion et les idées, mais sans jamais pour autant s’enliser dans le psychologisme ou le sentimentalisme. Ce qui fait que le conflit israélo-palestinien est abordé d’une manière assez humaine pour que jamais on ne se sente largué par la complexité des échanges. Le plus important, ici, c’est la relation entre les êtres, le rapport, la communication, la rencontre. »
Acteurs de l’histoire
Emmanuel Bilodeau et Isabelle Blais incarnent le couple de diplomates. Autour d’eux gravitent une foule de politiciens, officiels et universitaires. Les Norvégiens sont campés par Luc Bourgeois, Marie-France Lambert et Justin Laramée. Les Palestiniens par Manuel Tadros et Reda Guerinik. Les Israéliens par Jean-François Casabonne, Ariel Ifergan, Jean-Moïse Martin, Félix Beaulieu-Duchesneau et Steve Gagnon.
Pour accompagner l’action en direct, de la manière la plus sensible qui soit, la metteuse en scène compte sur Mathieu Désy à la contrebasse et Kevin Warren à la batterie.
Envers sa distribution, hommes et femmes évoluant dans une arène cernée d’estrades, Patenaude ne tarit pas d’éloges : « Tout comme les personnages, qui ont dû retrousser leurs manches, gravir une montagne immense, déployer de grands efforts afin d’arriver à un accord, les comédiens ont un défi de taille à relever. Ce que je leur demande, c’est-à-dire d’être toujours sur scène, toujours sur le qui-vive, c’est sportif, athlétique. J’estime qu’on obtient le meilleur des gens quand on leur donne la possibilité de se dépasser. »
Alors que le contenu de la pièce est réaliste, pour ne pas dire historique, la forme est quant à elle plus abstraite, révèle la metteuse en scène. « D’abord parce que le texte fait appel à des codes éminemment théâtraux, comme l’adresse au public et le choeur, mais surtout parce que l’espace dans lequel j’ai choisi de camper l’action évoque une mul- titude de lieux de manière pas de tout naturaliste. Ce qu’on a imaginé, Odile Gamache et moi, c’est une sorte d’installation de classeurs, un labyrinthe qui se construit et se déconstruit, se reconfigure au gré des scènes. »
Que la dimension politique du théâtre soit sur toutes les tribunes par les temps qui courent, la metteuse en scène ne peut que s’en réjouir. « C’est extraordinaire, lance-t-elle. C’est trop rare qu’on parle du théâtre en ces termes, alors que ce sont des enjeux qui lui sont intrinsèques.
Après cet été de débats, disons pas toujours fructueux, qui démontre qu’on ne sait pas tout à fait comment débattre, je trouve ça formidable de proposer une pièce qui, bien plus encore que le conflit, aborde le dialogue et la réconciliation.
Si ces deux ennemis jurés parviennent à s’entendre, il y a certainement moyen, pour nous, au Québec, de faire des pas les uns vers les autres. Comme le dit le personnage d’Emmanuel Bilodeau, à la toute fin de la pièce, si on a reussi a se rendre aussi loin, malgré la peur, le sang, la haine, jusqu’où pensez-vous qu’on peut encore aller ? »
Oslo
Texte: J. T. Rogers. Traduction: David Laurin. Mise en scène: Édith Patenaude. Au Théâtre Jean-Duceppe du 5 septembre au 13 octobre.
Le 7 septembre, dès 17 h, une discussion publique se tiendra au théâtre Jean-Duceppe pour souligner le 25e anniversaire de la signature des accords d’Oslo. Prendront part aux échanges animés par Brian Myles, directeur du
Devoir: Sami Aoun (directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire RaoulDandurand), Jacques Saada (ancien ministre fédéral) et Manon Globensky (journaliste à Radio-Canada).
Si ces deux ennemis jurés parviennent à s’entendre, il y a certainement moyen, pour nous, au Québec, de faire des pas les uns vers les autres ÉDITH PATENAUDE