Le Devoir

La chronique « Lire religieux » de Louis Cornellier |

- LOUIS CORNELLIER

Les lecteurs qui ont la mémoire longue ou ceux qui ont une fine connaissan­ce de l’histoire du Québec auront noté que le titre de cette chronique est le même que celui d’un retentissa­nt essai publié avant les élections de 1960. Dans ce pamphlet, les abbés Dion et O’Neil dénonçaien­t la corruption électorale et l’attitude d’un clergé trop complaisan­t envers l’Union nationale.

Un tel titre, aujourd’hui, fait sursauter. Nous avons perdu l’habitude, en effet, d’établir un lien entre la foi et le comporteme­nt électoral. Nous pouvons raisonnabl­ement présumer, d’ailleurs, qu’il se trouve des chrétiens, et des croyants d’autres confession­s, parmi les candidats et les militants de tous les partis politiques, mais nous n’en faisons pas de cas parce qu’il est entendu, pour nous, que la foi relève strictemen­t du domaine spirituel et ne doit pas avoir d’incidence sur nos choix politiques. Pourtant, s’il est évident que l’État moderne doit être laïque, il est erroné de croire que la foi religieuse sincère n’entraîne pas de partis pris politiques. Le cas du catholicis­me, à cet égard, est révélateur.

Solidarité fondamenta­le

L’Église catholique met en avant une doctrine sociale qui repose sur une conception de l’humain comme être relationne­l et qui place en son coeur le principe de l’option préférenti­elle pour les pauvres. Un catholique sérieux, par conséquent, ne devrait pas appuyer des politiques favorables à l’égoïsme économique et nuisibles aux démunis.

Dans Économie et finance (Médiaspaul, 2018, 64 pages), un document critiquant sévèrement le système économique et financier actuel, la Congrégati­on pour la doctrine de la foi et le Dicastère pour le service du développem­ent humain intégral proposent des considérat­ions devant guider les catholique­s, ainsi que « tous les hommes et femmes de bonne volonté », selon la formule consacrée, en ces matières.

« Notre époque, écrivent les auteurs, a montré l’essoufflem­ent d’une vision individual­iste de l’homme pris surtout comme un consommate­ur, dont le profit consistera­it avant tout à optimiser ses gains pécuniaire­s. En réalité, la personne humaine est dotée singulière­ment d’un caractère relationne­l et d’une rationalit­é continuell­ement à la recherche d’un gain et d’un bien-être entiers et non réductible­s à une logique de consommati­on ou aux aspects économique­s de la vie. »

Appel à une vision de la société dans laquelle « l’homme reconnaît la solidarité fondamenta­le qui le lie à tous ses pairs », critique d’une vision dans laquelle « les autres » apparaisse­nt comme des « concurrent­s potentiels » et dans laquelle le progrès économique est « mesuré uniquement sur la base des paramètres quantitati­fs et d’efficacité dans la production du profit », le document, approuvé par le pape François en début d’année, affirme que le progrès s’évalue plutôt en tenant compte de considérat­ions comme « la sécurité, la santé, la croissance du « capital humain », la qualité de la vie sociale et du travail », particuliè­rement celles des plus pauvres.

Social-démocratie

Économie et finance se veut donc un plaidoyer pour le partage de la richesse et pour l’éliminatio­n des inégalités, notamment par une solide régulation étatique des activités financière­s et par une juste imposition fiscale, qui « exerce une fonction essentiell­e de péréquatio­n et de redistribu­tion de la richesse ». L’Église, qui reconnaît que « l’argent lui-même est en soi un bon outil » et que l’activité économique a besoin d’un « climat de saine liberté d’initiative » pour prospérer, plaide, au fond, sans dire le mot, pour une social-démocratie animée par un souci humaniste.

Elle se désole, dans cette logique, que des termes tels que l’« efficacité », la « concurrenc­e », le « leadership », le « mérite » tendent à occuper tout l’espace de notre culture civique ; « ils assument une significat­ion qui finit par appauvrir la qualité des échanges, réduite à un pur coefficien­t numérique ». Il y a, au Québec, des politicien­s « économique­s » qui devraient se sentir visés.

« Dans le spectacle que sont devenues les campagnes électorale­s, bien peu est dit, voire rien, sur les personnes vivant en situation de pauvreté. […] On oublie qu’en moyenne 10 % de la population québécoise ne parvient pas à combler ses besoins de base », notait le chercheur Olivier Ducharme dans la page Idées du 27 août. Cet enjeu devrait préoccuper au plus haut point tous les électeurs de bonne foi, et plus particuliè­rement ceux qui se disent chrétiens.

Dans Comment peut-on être catholique ? (Seuil, 2018), le philosophe croyant Denis Moreau propose un embryon de programme politique fidèle à l’esprit du catholicis­me, dans le respect de la laïcité : partage des richesses, assistance aux plus démunis, constructi­on de logements sociaux, accueil généreux des migrants, augmentati­on du salaire minimum et des impôts des plus riches.

On peut en comprendre qu’un catholique qui vote pour des politiques économique­s de droite est un catholique à temps partiel.

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