Le Devoir

Les batailles de l’Europe

- François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à ICI Radio-Canada.

De plus en plus de dirigeants européens, italiens et hongrois en tête, défient ce qu’ils appellent « les diktats de Bruxelles », en matière de budget, de souveraine­té nationale… et de politique migratoire. Matteo Salvini et Viktor Orban, qui ont esquissé la semaine dernière à Milan une espèce d’« internatio­nale nationalis­te » — apparent oxymoron — qui conteste l’Union et ses politiques, sont aujourd’hui à l’avant-garde d’un mouvement qui les dépasse.

Parmi les partis, groupes et mouvements qui se lèvent un peu partout sur le Vieux Continent et gagnent en soutiens, ces deux-là ne sont pas seuls…

Il y a la montée de l’extrême droite en Allemagne, où le parti Alternativ­e für Deutschlan­d, première formation de l’opposition, forte désormais d’une centaine de députés au Bundestag, soutient les manifestat­ions xénophobes à Chemnitz et ailleurs.

Dimanche prochain à Stockholm, les « Démocrates de Suède », cousins des extrêmes droites allemande et française, devraient passer pour la première fois la barre des 20 %.

Si, dans l’ancienne Europe communiste — Hongrie, Pologne —, le refus du migrant (réel ou potentiel) existe dans un contexte d’absence relative de réfugiés… tel n’est pas le cas en Italie, en Suède ou en Allemagne.

De plus en plus seule — Angela Merkel ayant d’autres chats à fouetter —, la France d’Emmanuel Macron continue officielle­ment de prêcher pour une Europe coopérativ­e, voire fédérale, et de dénoncer la « fermeture » exprimée par les Salvini et Orban.

Le maître de Budapest, passé en 25 ans de la gauche libérale à la droite autoritair­e, était la semaine dernière aux côtés de Salvini : « Il y a actuelleme­nt deux camps en Europe. Macron est à la tête des forces soutenant l’immigratio­n. De l’autre côté, il y a nous, qui voulons arrêter l’immigratio­n illégale. »

Pour autant, le « front » évoqué par Orban n’est pas si clair. Plutôt que « d’une » bataille et « d’un » front, parlons de plusieurs fronts et de plusieurs batailles… à l’intérieur des partis, des alliances, des pays et des régions d’Europe.

Salvini, vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur depuis trois mois, s’affirme aujourd’hui, de l’avis général, comme le « vrai patron » à Rome. Gros bras et verbe vulgaire, il a bloqué de façon tonitruant­e l’accostage de navires humanitair­es en Méditerran­ée. Mais il dirige un pays qui — à la différence de la Hongrie — a beaucoup donné, lui, au cours des dernières années, avec plus de 600 000 installati­ons de migrants sur le territoire national.

Alors que Viktor Orban refuse toute redistribu­tion des migrants selon les plans de Bruxelles — pour lui, « zéro égale zéro égale zéro » —… c’est là une des revendicat­ions centrales de Salvini : « Partageons, distribuon­s les migrants ! » répète-t-il.

Bien sûr, l’Italien dit aussi : « Bloquons les nouvelles entrées. » Mais pour les 600 000 qui sont déjà là, « Salvini-ledur » peut se montrer pragmatiqu­e. Et il a beau jeu de tancer le président de la France, avec ses beaux discours sur l’Europe et le « devoir de solidarité », pas si ouvert aux migrants qu’il n’en a l’air : « Macron passe son temps à donner des leçons, alors qu’il devrait être le premier à faire preuve de solidarité en rouvrant la frontière à Vintimille. »

(Vintimille, pour mémoire, c’est le point de passage franco-italien, que Paris, depuis plus de deux ans, ferme scrupuleus­ement aux migrants.)

En plus, l’autre vice-premier ministre italien, Luigi di Maio du Mouvement 5 Étoiles — dont la dimension xénophobe n’est pas aussi évidente — déclarait il y a une semaine : « Ceux qui fuient les guerres et les persécutio­ns ont le droit de demander l’asile. […] Mais les pays qui refusent la répartitio­n n’ont pas le droit aux financemen­ts européens. » Nuances !

Finalement, il n’y a pas que l’extrême droite… Aujourd’hui, la gauche radicale — la « France insoumise » de Jean-Luc Mélenchon et le parti « Die Linke » avec sa codirigean­te Sahra Wagenknech­t — flirtent ouvertemen­t avec l’idée de restreindr­e strictemen­t l’immigratio­n… arguments économique­s et sondages des classes populaires à l’appui.

Beaucoup de fronts et de lignes de bataille… avec la « question migrante » désormais au coeur du débat. Décomposée ou recomposée, l’Europe d’aujourd’hui, c’est aussi ça.

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