Crier au fond d’un puits
Mi-août, François Legault est invité à l’émission de Christiane Charette, à Radio-Canada. Une grande entrevue de vingt-trois minutes, où l’on passe au crible sa vision pour le Québec. Les questions ne sont pas trop ardues, le chef caquiste surfe, bonne pâte, comme à son habitude. Ça rigole. Ce jour-là, le groupe Milk & Bone donne aussi une prestation sur le plateau. À un moment, Laurence LafondBeaulne, moitié de ce duo, s’invite dans l’entrevue : « Est-ce que je peux poser une question ? Moi, j’ai 27 ans, et ça me fait tellement mal de savoir que dans vos priorités il n’y a pas d’environnement… »
Aussitôt, la salle applaudit. Legault est visiblement déstabilisé par l’adhésion instantanée du public. Il se défend : non, c’est important, « je pense qu’il y a un consensus au Québec sur l’environnement », puis enchaîne sur l’importance d’exporter notre hydroélectricité aux États-Unis et propose d’accélérer la décontamination des sols, notamment dans l’est de Montréal — là où il y a, tiens donc, un potentiel de développement immobilier.
Certes, il n’avait pas beaucoup de temps. Reste que dans la campagne électorale, les réflexions environnementales profondes et cohérentes brillent par leur absence. Quant à cet épisode, il illustre l’écart troublant qui existe entre le discours abstrait et spéculatif sur l’environnement tenu par une partie de la classe politique et la réalité, celle-là bien concrète, de l’urgence climatique.
Laurence m’a confié avoir hésité avant d’interpeller Legault — sentiment d’imposture. Mais l’angoisse suscitée par l’évidence oblitérée l’a décidée : « C’est inquiétant de voir que ce n’est pas une priorité pour les politiciens parce que, comme citoyen, il y a une limite à ce qu’on peut faire. Quelque chose doit venir d’en haut. Et voir qu’un parti comme la CAQ a des chances de gagner et que ce n’est pas dans ses priorités, ça me fait peur. »
Je me suis demandé si la question environnementale n’était pas devenue, pour ma génération, l’enjeu déterminant du rapport au politique. L’axe premier qui scinde les camps idéologiques. Les chiffres le laissent entendre : selon la Boussole électorale, 27 % des 18-34 ans voient l’environnement comme une priorité politique (seuls 11 % des 55 ans et plus en disent autant). Et alors que ce groupe d’âge constitue désormais le tiers de l’électorat, cela pourrait devenir significatif dans la campagne. Or l’attitude d’un Legault qui brandit des mesures éparses et répète des voeux pieux pseudo-écolos est complètement décalée. Décalée par rapport aux exigences de l’époque comme de l’électorat. Cela témoigne non seulement d’un désengagement, mais d’une incompréhension profonde du problème qui est devant nous.
Aborder l’environnement comme un enjeu à part, un paramètre qui, certes, influence, mais jamais de façon déterminante, nos décisions, est un anachronisme. Oubliez la précaution, la vigilance et la prévention, ça vient trente ans trop tard. Seul le vocabulaire de la transition, de la résilience, de la décroissance est désormais pertinent. La question environnementale doit être la trame qui sous-tend l’ensemble des délibérations publiques, dans toutes les sphères d’intervention de l’État. Nous n’avons pas tellement le choix.
Jusqu’ici, on se heurte la plupart du temps à une attitude passéiste : l’environnement, d’accord, mais parlons d’abord des « vraies affaires ». Qu’y a-t-il de plus vrai, pourtant, que le péril qui compromet la possibilité même d’habiter le monde ? Les questions soulevées par la crise climatique ne pourraient pas être plus terre à terre : comment financer des services publics dans une économie dont le dynamisme et incidemment les recettes fiscales reposent en grande partie sur la consommation de biens et services, qu’il faudra radicalement réduire ? Comment accompagner les citoyens dans l’adaptation aux températures extrêmes ? Et alors qu’on débat sans cesse d’immigration économique, a-t-on pensé à la façon dont nous organiserons l’accueil, imminent et inévitable, des personnes déplacées par la crise climatique ?
La désinvolture dont fait preuve François Legault — mais il n’est pas seul — sur l’ensemble de ces questions ne relève pas seulement de l’aveuglement. C’est de l’amateurisme politique : on admet, en somme, qu’on improvisera, le temps venu.
La question environnementale ne peut plus être traitée comme une variable parmi d’autres dans l’élaboration d’un projet social et politique, car il s’agit désormais de la variable dont toutes les autres sont fonction. Et cela a peu à voir avec des tiraillements idéologiques ou partisans. Il s’agit plutôt d’un clivage, nécessairement pragmatique car existentiel, entre la vie et la mort. Mais on a beau le répéter, on a l’impression de crier au fond d’un puits.
La question environnementale doit être la trame qui sous-tend l’ensemble des délibérations publiques, dans toutes les sphères d’intervention de l’État. Nous n’avons pas tellement le choix.