Le Devoir

Mal à mon école

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

L’école peut-elle rendre malade ? À cette question, Luc Gélinas, un conseiller d’orientatio­n employé par la Commission scolaire Marie-Victorin, répond assurément oui. Après cinq ans de bataille acharnée, il n’est maintenant plus seul à le dire : un jugement du Tribunal administra­tif du travail vient de confirmer que ce sont les moisissure­s trouvées sur son lieu de travail, le Centre d’éducation aux adultes Le Moyne-d’Iberville, qui ont causé sa rhinite non allergique, et donc empoisonné son existence.

Ce jugement rapporté jeudi dans Le Devoir fera école. Ce n’est pas pour rien qu’il fut qualifié de victoire par ceux qui gravitent autour du tristement célèbre dossier des écoles vétustes : établir de manière satisfaisa­nte aux yeux du tribunal le lien entre une santé chancelant­e et des murs qui pourrissen­t est généraleme­nt complexe. Le versement de prestation­s pour « lésions profession­nelles » en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies profession­nelles, ainsi que M. Gélinas y aura droit, est donc plutôt rare.

Les administra­tions de l’ensemble des commission­s scolaires du Québec doivent frémir, car des écoles aux parois qui champignon­nent, il y en a ! Selon les analyses récentes produites par Québec après un processus d’inspection qui s’est raffiné, la moitié des écoles primaires affichent un « mauvais » ou « très mauvais » état. Aussi bien dire que le parc immobilier scolaire du Québec va à vau-l’eau. « Une école sur deux a besoin d’amour au Québec », affirmait ce printemps le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx. De l’amour au prix fort : 2,7 milliards de dollars en « déficit de maintien des actifs » pour les quelque 4000 établissem­ents primaires et secondaire­s.

Et c’est ainsi qu’on voit désormais défiler dans le lot des promesses électorale­s la remise à neuf des écoles qui ont sombré dans la désuétude. Les partis politiques ont pris acte de l’état des écoles et promettent que leur éventuel gouverneme­nt s’affairerai­t à leur remise à neuf. C’est une attitude responsabl­e. Néanmoins, qu’il est navrant de voir qu’un engagement pour des murs qui tiennent et des toits qui ne coulent pas côtoie désormais sans gêne des intentions destinées à donner un autre souffle à la diplomatio­n ! Éducation fourre-tout ?

Sur le territoire de la Commission scolaire de Montréal, 88 % des bâtiments sont dans un piètre état, ce qui entraîne toute une série de projets de rénovation et d’agrandisse­ment. Après les casse-tête pédagogiqu­es, les directions d’école gèrent des chantiers. Le déficit d’entretien est évalué là à un milliard de dollars. Voilà ce qu’entraîne la politique de l’autruche, malheureus­ement trop longtemps pratiquée. Les administra­tions scolaires risquent de payer chèrement des années de mauvaises évaluation­s, d’entretien déficient et d’inspection­s désuètes.

On consacre beaucoup d’énergie à disséquer le dossier des écoles délabrées sous l’angle de la reconstruc­tion coûteuse. Au risque d’en oublier une des épines dorsales : celui de la santé publique. Le jugement du Tribunal du travail le rappelle avec force démonstrat­ions, et les suites ne sauront tarder : dans ces cloisons qui moisissent, des enfants étudient, des professeur­s enseignent, et des employés travaillen­t. Ils ont droit à un climat sain.

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