Le faux courage
La lettre anonyme d’un conseiller de la Maison-Blanche publiée par le New York Times ne nous apprend rien de nouveau sur Donald Trump. Le président américain est impétueux, erratique, mal informé, inefficace et immoral. Entre autres tares.
La chronique de l’indécence présidentielle est un genre récurrent depuis l’élection de Trump. L’ouvrage publié cette semaine par le journaliste Bob Woodward a fini d’achever le portrait sombre d’un homme qui n’a ni l’étoffe ni l’envergure intellectuelle d’un chef d’État. Dans l’ouvrage de Woodward, le chef de cabinet, John Kelly, va même jusqu’à traiter le patron dont il est censé protéger la crédibilité « d’idiot ». Le secrétaire à la Défense, James Mattis, lui attribue l’intelligence d’un écolier de cinquième ou sixième année. Les deux hommes ont évidemment démenti les propos avec vigueur au sein d’une Maison-Blanche en crise perpétuelle.
L’élément de nouveauté vient de l’existence de cette cabale aux contours flous de conseillers plus ou moins proches de Donald Trump qui, à en croire l’auteur de la missive anonyme, sont les héros obscurs de la résistance à la Maison-Blanche. Ainsi donc, ils ont pris la liberté de tempérer, modifier, voire bloquer les gestes posés par le président dans l’exercice de ses fonctions. L’ouvrage de Woodward nous en apprend autant, avec l’avantage de mettre des noms sur des citations.
En comparaison avec le corpus qui existe déjà sur les déboires de Trump, la lettre publiée par le Times est d’une banalité qui ne justifiait pas l’anonymat. Le propos est toutefois dérangeant. Un groupe anonyme a pris l’initiative de détourner le programme du président, aussi insensé et irréfléchi soit-il, pour des raisons qui lui sont propres. La crise qui secoue la démocratie américaine est plus profonde qu’on peut l’imaginer. Un groupe anonyme, non élu et non représentatif du peuple américain, en est rendu à usurper la fonction présidentielle. À qui rendra-t-il des comptes, si ce n’est au président ou au peuple ? Aux bonzes du Parti républicains et à leurs financiers ?
Ce groupe, s’il a bien l’importance et l’influence que l’auteur anonyme lui prête, se fait le complice d’une perversion des institutions démocratiques. Il gouverne dans l’opacité, sans la transparence et l’obligation de rendre des comptes inhérentes à une démocratie. Ce geste aux antipodes d’un acte de résistance n’a rien d’héroïque. Il retardera l’inévitable implosion de la présidence Trump et contribuera à rendre le locataire de la Maison-Blanche encore plus méfiant. S’estimant trahi et piégé, Donald Trump sera de moins en moins enclin à accepter les conseils de sa garde rapprochée, ce qui contribuera à renforcer le caractère brouillon et imprévisible de ses politiques publiques.
Le véritable courage consiste à dénoncer haut et fort les errements du président au lieu de participer, en demeurant à sa remorque, à la déliquescence des institutions démocratiques. Si les « résistants » anonymes ont des doutes sur la capacité du président à assumer ses fonctions, il ne suffit pas qu’ils évoquent entre eux, derrière des portes closes, le 25e amendement de la Constitution des États-Unis, en vertu duquel un président peut être démis en cas d’inaptitude. Qu’ils demandent à être entendus au Congrès, cet organe démocratique qui en fait trop peu pour encadrer les écarts de conduite de Donald Trump. C’est quand même aux élus qu’il revient de se prononcer sur les destinées du président. Et non à des faux héros de l’ombre.