Le Devoir

Madame la Ministre

- LISA-MARIE GERVAIS LE DEVOIR

Féministe de la première heure et jusqu’au bout des ongles. Au front du combat pour la cause des femmes, Lise Payette n’était pas le genre à se cacher, à baisser les bras et encore moins à passer par la porte d’en arrière. En 1976, lorsqu’elle est élue députée et nommée ministre au sein du premier gouverneme­nt péquiste, la grande dame ne veut pas participer aux réunions de la garde rapprochée toute masculine de René Lévesque, qui ont lieu au Cercle de la Garnison à Québec. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque, ce chic club privé était interdit aux femmes et qu’il aurait fallu qu’elle y entre par la porte d’en arrière. « Elle a toujours refusé », raconte Louise Beaudoin, chroniqueu­se et exministre péquiste. « Elle a toujours dit que les réunions ne se feraient pas là aussi longtemps que la règle n’aurait pas changé. Ce sont de petites victoires comme ça qu’elle a remportées, très symbolique­s. »

N’est-ce pas elle, d’ailleurs, qui a mené la bataille pour se faire appeler « Madame la Ministre ? » souligne pour sa part Hélène David, actuelle ministre de la Condition féminine. « En France, ça soulève la controvers­e encore aujourd’hui, mais elle, elle exigeait déjà en 1976 de se faire appeler la ministre. Ce n’est pas un petit détail ».

Un combat fait de batailles

De petites batailles, parfois menées en coulisses, qui sont aujourd’hui de grandes victoires, affirme Pauline Marois, première ministre de 2012 à 2014. « On parle parfois d’une personne d’exception et je pense que c’en est une, dit-elle. Elle a investi un demi-siècle à la défense de la cause des femmes. »

Si certaines femmes politiques sont passées à l’histoire pour avoir fait adopter des lois sur l’équité salariale ou le droit de vote des femmes, Lise Payette aura ouvert la voie à sa manière, en forçant le gouverneme­nt à se plier à des pratiques respectant les droits des femmes et l’égalité, croitelle. La préservati­on du patronyme de la mère, c’est elle. Également la bataille pour que les femmes n’aient plus à prouver l’adultère de leur mari pour demander le divorce. «Elle a aussi obligé chaque ministère à adopter un plan d’action pour l’égalité des droits des femmes», rappelle Mme Marois, qui fut directrice de cabinet du ministère de la Condition féminine pendant que Mme Payette en était la ministre. Même les bureaux des sous-ministres devaient avoir un responsabl­e de la condition féminine. « À l’époque, vous savez, ce n’était pas important, la Condition féminine. C’est elle qui a rendu ça important ».

D’injustes controvers­es

Lise Payette était une femme « d’une impertinen­ce et d’une audace », dotée d’un humour parfois « pinçant », soutient Mme Marois. Pas étonnant qu’elle ait eu l’idée du concours du plus bel homme du Québec. « Il n’y avait pas meilleur moyen pour expliquer qu’on traitait différemme­nt les femmes des hommes. Ça venait dire : “Regardez ce qu’on nous fait !” »

Une hardiesse qui l’a parfois desservie. Comme dans l’épisode des Yvettes à la veille du référendum de 1980, alors que Mme Payette avait laissé entendre que, contrairem­ent à la femme moderne et émancipée, la « Yvette » soumise, un modèle féminin d’un manuel scolaire qu’elle assimilait à l’épouse du fédéralist­e Claude Ryan, craignait l’indépendan­ce du Québec. «Je suis de celles qui prétendent que Mme Payette n’avait aucune animosité envers Mme Ryan. C’était au second degré, comme quand on fait une mauvaise blague. Mais de voir des femmes que j’admirais, comme Mme Kirkland-Casgrain, Mme Chaput-Rolland, faire un rallye pour la houspiller… j’ai trouvé ça injuste», raconte Louise Beaudoin. « On ne pouvait quand même pas dire qu’elle n’était pas féministe ! »

Certains sont même allés jusqu’à lui imputer la défaite du référendum, s’étonne Pauline Marois. « On a souvent été dur avec elle lorsqu’elle a exprimé certaines opinions qui n’étaient pas celles de la majorité ou des bienpensan­ts. »

Le flambeau à la relève

En 1994, lors de l’assermenta­tion de Jacques Parizeau, Louise Beaudoin se souvient très bien que Mme Payette leur avait parlé en aparté, à elle et à ses deux autres consoeurs, Pauline Marois et Louise Harel, nommées au Comité des priorités paritaire. Elle leur avait dit qu’il ne fallait plus jamais dire «Le pouvoir ? Connais pas ! », faisant allusion à son livre écrit en 1981. «Elle avait sa place et elle voulait qu’on fasse la nôtre. »

Depuis, d’autres femmes ont effectivem­ent pris leur place, et certaines se sont fait passer directemen­t le flambeau par Mme Payette elle-même. C’est ce qui est arrivé à Martine Desjardins, ex-leader du mouvement étudiant, pendant le tournage du documentai­re Un peu plus haut, un peu plus loin sorti en 2013, de sa petite-fille adorée Flavie Payette-Renouf et de Jean-Claude Lord. « Elle était très théâtrale et a fait le geste et tout. Ça m’avait fait tout un choc, car c’était la deuxième fois de ma vie que je la rencontrai­s. Mais ça avait créé une belle amitié, malgré les 50 ans qui nous séparent », raconte celle qui préside aujourd’hui le Mouvement national des Québécois. « C’est précieux d’avoir quelqu’un de son calibre qui te met la main dans le dos et te dit : “Tu es capable.” […] Au-delà de sa carrière incroyable, c’est le côté humain de cette femme que je retiens. » aux consommate­urs.

Elle se retirera de la vie politique en 1981, après la défaite du référendum, et marquée par le tollé provoqué par l’incident des « Yvettes », où elle s’en était prise au modèle de la femme soumise d’un manuel scolaire en l’assimilant à l’épouse du chef du Parti libéral, Claude Ryan. « Elle a fait cinq ans en politique, mais on dirait qu’elle a été là dix, quinze ans », soutient Hélène David.

Culture et écriture

Les décennies suivantes sont consacrées principale­ment à l’écriture. Celle de téléromans à succès (La bonne aventure, Des dames de coeur, Marilyn, etc.), mais également de trois autobiogra­phies sous le titre Des femmes d’honneur (1997-1999). Du reste, cette lauréate de nombreux prix et distinctio­ns — dont l’Ordre national du Québec en 2001 et le prix Guy-Mauffette, consacrant sa grande carrière à la radio et à la télévision — ne manque pas une occasion de poursuivre son combat sans fin pour l’égalité. En 2015, dans le documentai­re sur le droit de vote des femmes réalisé en 2015 par sa petitefill­e Flavie Payette-Renouf, elle revient sur l’avortement subi par sa propre mère — réalisé par un étudiant de médecine sur une table de cuisine ! — et confie avoir eu du mal à se relever de la tuerie de Polytechni­que, admettant s’être sentie, d’une certaine manière, coupable de l’assaut.

« Je veux que les femmes s’unissent. Si elles comprenaie­nt la force qu’elles représente­nt quand elles sont unies… Elles sont la plus importante partie des êtres humains québécois», avait un jour lancé Lise Payette. Une déclaratio­n venue du coeur qui s’inscrit dans un combat que d’autres génération­s de femmes mèneront désormais à sa place.

1931 Lise Ouimet naît à Verdun.

1972 Elle anime la populaire émission Appelez-moi Lise.

1976 Élue députée de Dorion, elle est la seule femme membre du cabinet de René Lévesque.

1980 Ministre de la Condition féminine, elle qualifie d’« Yvette » l’épouse du chef libéral, ce qui donne une impulsion au camp du Non au référendum.

1981 Elle se retire de la vie politique et se lance dans l’écriture de téléromans.

Auteure, ministre, féministe, Lise Payette aura ouvert la voie à plusieurs femmes pour qui l’ambition devenait maintenant permise VALÉRIE PLANTE

Lise Payette fut un modèle d’émancipati­on pour les femmes et sa contributi­on à l’essor de la condition féminine est indéniable. Mme Payette, MERCI d’avoir osé ouvrir la voie. DANIÈLE HENKEL

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RADIO-CANADA, TÉLÉ-QUÉBEC, JACQUES NADEAU LE DEVOIR Lise Payette, animatrice, femme politique, scénariste, mais d’abord et avant tout féministe
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