L’alarme avait été sonnée pour La tour Eiffel
La Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels était intervenue auprès de Mélanie Joly à la sortie du Chagall
La Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels (CCEEBC) a sonné l’alarme lorsque La tour Eiffel (1929), huile sur toile du peintre impressionniste russo-français Marc Chagall (1887-1985), a quitté le pays. La CCEEBC, au rôle bien spécifique, ne pouvait agir dans ce dossier, puisque son pouvoir ne s’étend qu’aux cas de licences d’exportation refusées — celle du Chagall avait, forcément, été acceptée, puisque le tableau avait franchi la frontière. Sa présidente, Sharilyn J. Ingram, a pourtant intercédé auprès de Mélanie Joly, alors ministre du Patrimoine canadien, dès le 5 avril, en signant au nom de la Commission une lettre d’inquiétude dont Le Devoir a obtenu copie.
En février 2018, un conservateur adjoint du Musée des beaux-arts de l’Ontario (AGO), organisme qui fait office d’expert examinateur en vertu de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, a conclu que
La tour Eiffel était une oeuvre qui n’avait ni « importance nationale » ni « intérêt exceptionnel ». Ce sont ces deux critères qui, individuellement ou couplés, permettent d’évaluer si un bien est essentiel au patrimoine canadien.
Une licence d’exportation permanente a donc été délivrée pour La tour
Eiffel, par l’AGO, qui possède par ailleurs deux des trois huiles de Chagall du domaine public au pays, Over Vitebsk (1924) et Le violoniste rouge (date de réalisation inconnue).
Ainsi, la CCEEBC n’avait aucun rôle à jouer dans ce dossier. « Nous croyons », intervenait pourtant Mme Ingram, « qu’il est essentiel, afin de répondre aux objectifs de la loi, que le critère qui détermine si un bien est d’intérêt exceptionnel ou d’importance nationale soit interprété et appliqué d’une manière aussi cohérente et constante que possible, en exportation comme pour les déductions fiscales ».
Rappelons qu’au printemps dernier, le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa a cherché à se départir de la peinture de Chagall en la proposant aux enchères de Christie’s. Selon le MBAC, un autre Chagall, Souvenirs de l’enfance
(1924), et les 692 dessins de l’artiste suffisaient à la collection. Le MBAC espérait tirer de la vente quelque 8 à 10 millions, et financer ainsi l’acquisition du
Saint Jérôme (1779) de Jacques-Louis David. Le MBAC croyait le Saint Jérôme en danger de quitter le pays, un fait nié par son gestionnaire, la Fabrique NotreDame. La vente de La tour Eiffel a finalement été annulée, le tableau rapatrié et exposé l’été dernier au MBAC.
Nous croyons qu’il est essentiel que le critère qui détermine si un bien est d’intérêt exceptionnel ou d’importance nationale soit interprété et appliqué d’une manière aussi cohérente et constante que possible, en exportation comme pour les déductions fiscales SHARILYN J. INGRAM