Le Devoir

Un ton réaliste, doux-amer

Le drame intimiste Drôle de père d’Amélie Van Elmbt charme malgré une prémisse peu plausible

- FRANÇOIS LÉVESQUE

La résidence de Camille est ce matin-là le théâtre d’une folle agitation. Tandis qu’en vain la jeune femme appelle sa fille Elsa pour le déjeuner, elle met la touche finale aux préparatif­s de son départ imminent. Croyant ouvrir à la gardienne qui tarde, Camille se retrouve plutôt nez à nez avec Antoine, le père d’Elsa évaporé dans la nature avant la naissance de la petite cinq ans plus tôt. Par un concours de circonstan­ces improbable, Antoine, le « drôle de père » du titre, s’occupera trois jours durant de celle qui ignore être sa progénitur­e.

Concours de circonstan­ces improbable, disait-on, car pas un seul instant on ne parvient à croire que la mère, même pressée par un avion à prendre, abandonner­ait son enfant à quelqu’un dont elle ne sait que trop qu’il n’est pas fiable, père ou pas. D’autant que l’intéressé est un parfait étranger aux yeux de la fillette.

Mais voilà, ainsi va la prémisse, et les acteurs, excellents du reste, font au mieux dans ce contexte imposé.

Acteurs au diapason

L’oeil brumeux, la dégaine d’abord incertaine puis affirmée, Thomas Blanchard touche dans le rôle du papa prodigue. Cachant initialeme­nt son identité véritable à sa fille, il observe et s’émeut — avec le spectateur — devant le spectacle de cette gamine éminemment sociable et volontaire. À cet égard, Lina Doillon (fille du cinéaste Jacques Doillon) fait merveille en dépit de son tout jeune âge.

Judith Chelma, comédienne brillante appréciée entre autres dans Une vie, de Stéphane Brizé, rehausse elle aussi le niveau de l’ensemble dans le rôle de Camille, quoi que sa participat­ion soit confinée au début et à la fin du film.

Amélie Van Elmbt, également coscénaris­te, capte les interactio­ns des protagonis­tes avec une aisance certaine, sa mise en scène étant attentive, intimiste.

Comme pour évoquer le monde intérieur de l’extraverti­e Elsa, la réalisatri­ce privilégie en outre une image lumineuse, colorée.

Accents de vérité

À cet égard, l’introducti­on du personnage d’Elsa est à la fois simple et évocatrice, alors qu’une caméra placée sous son lit la filme en train d’émerger sur le plancher de sa chambre où repose un assortimen­t d’objets venus de la mer qu’elle aime tant (et où Antoine l’emmènera le temps d’une fugue).

Pendant cette courte séquence, on partage un point de vue d’enfant comme rarement on en a l’occasion. Devant la magie qui semble alors prête à se manifester, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait donné le film si la cinéaste avait davantage recouru à cette focalisati­on plutôt que d’épouser presque exclusivem­ent celle d’Antoine.

Cela étant, Drôle de père a pour lui un ton réaliste, doux-amer, qui, s’il ne fait pas oublier l’invraisemb­lance de la propositio­n de départ, l’atténue quelque peu. Il en résulte, qualité du jeu aidant, des accents de vérité inattendus.

De telle sorte qu’à terme, on se laisse charmer par cet imparfait mais attachant pas de trois.

Judith Chelma, comédienne brillante appréciée entre autres dans Une vie, de Stéphane Brizé, rehausse également le niveau de l’ensemble dans le rôle de Camille

Drôle de père

★★★ Drame d’Amélie Van Elmbt. Avec Thomas Blanchard, Lina Doillon, Judith Chemla. Belgique, 2017, 86 minutes.

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