Le Devoir

Par la porte d’en arrière

- ROBERT DUTRISAC

Le chef libéral, Philippe Couillard, a finalement reconnu que des forages pétroliers et gaziers pourront se faire dans les lacs et les rivières du Québec. Cette admission survient après que le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Moreau, la main sur le coeur, eut affirmé que ces forages seraient interdits. Il aura fallu l’acharnemen­t du Devoir, qui a scruté les règlements encadrant les activités pétrolière­s et gazières, pour établir que, malgré les énergiques dénégation­s du ministre, le nouveau régime ouvre la porte à de tels forages. La version définitive des nouveaux règlements a été rendue publique la semaine dernière.

Philippe Couillard a confirmé que son gouverneme­nt voulait « se garder une petite marge pour faire face aux imprévus, aux situations exceptionn­elles». Ces forages seraient autorisés « de façon très, très parcimonie­use » et « pour des raisons spécifique­s et dans des endroits spécifique­s », a-t-il tenu à préciser.

Cette déclaratio­n n’a rien de rassurant. Les entorses à la protection de l’environnem­ent se font toujours « dans des endroits spécifique­s » — c’est une palissade — et pour des raisons spécifique­s que l’industrie se fait fort d’invoquer.

Tandis que la Loi sur les hydrocarbu­res, adoptée en décembre 2016, est muette sur la fracturati­on hydrauliqu­e, le règlement qui découle de cette loi l’interdit formelleme­nt dans les basses terres du Saint-Laurent.

Or, l’Associatio­n pétrolière et gazière du Québec (APGQ) a indiqué au Devoir que les entreprise­s qui détiennent des permis d’exploratio­n s’étendant sur 13 000 kilomètres carrés dans les basses terres du Saint-Laurent, dont le potentiel gazier est avéré, entendaien­t poursuivre le gouverneme­nt afin d’invalider cette interdicti­on. Selon le porte-parole de l’APGQ, l’ancien conseiller libéral et candidat déchu dans Louis-Hébert Éric Tétrault, certains élus municipaux sont prêts à discuter de projets avec les promoteurs. On aurait pensé que l’industrie avait compris que l’exploitati­on du gaz de schiste au Québec, après la féroce opposition qu’elle a suscitée, était socialemen­t inacceptab­le.

Il est d’ailleurs étonnant de constater que la fracturati­on pourrait être permise ailleurs au Québec, notamment dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, à proximité des cours d’eau, de surcroît.

Il faut toutefois convenir que le règlement impose des restrictio­ns beaucoup plus sévères qu’auparavant. Les puits devront être construits de façon « à protéger l’intégrité de l’eau souterrain­e et du milieu hydrique » ; on peut se demander si les entreprise­s seront en mesure d’offrir cette garantie.

De même, tout forage est interdit dans 16 cours d’eau — le fleuve SaintLaure­nt, le lac Saint-Jean, le lac Memphrémag­og, notamment, autant de voies navigables qui relèvent du gouverneme­nt fédéral, mais aussi la baie des Chaleurs et la baie de Gaspé.

Il se peut que le gouverneme­nt voie dans cette ouverture un moyen d’éviter les poursuites éventuelle­s qu’une interdicti­on générale pourrait entraîner.

Mais il y a lieu d’être vigilant. Au nom du développem­ent économique, le gouverneme­nt libéral a maintes fois bafoué les grands principes de protection de l’environnem­ent dont il se gargarise.

Ainsi, en 2014, son ministre de l’Environnem­ent, David Heurtel, a violé la loi régissant son ministère en autorisant la pétrolière TransCanad­a à procéder à des travaux de forage dans une pouponnièr­e de bélugas, à Cacouna. Il a fallu que la Cour ordonne la suspension des travaux à la suite d’une requête en injonction déposée par des groupes écologiste­s pour que le ministre fasse marche arrière. La même année, la cimenterie McInnis a reçu le feu vert du gouverneme­nt en contradict­ion avec ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre.

Plus récemment, cédant à la pression des municipali­tés, le gouverneme­nt Couillard a réduit la valeur des compensati­ons exigées des promoteurs pour la destructio­n des milieux humides, compensati­ons qu’imposait une loi, d’ailleurs bien imparfaite, adoptée en juin.

Il faut que non seulement chacun des partis politiques énonce un plan d’action ambitieux en matière d’environnem­ent, mais qu’il s’engage à en faire, une fois au pouvoir, une priorité dont la préséance serait garantie. Dans cette optique, la promesse de Jean-François Lisée de se réserver le portefeuil­le du Développem­ent durable si, d’aventure, il est élu premier ministre, est un bon signal. En revanche, le peu d’importance accordé jusqu’ici à cet enjeu par la Coalition avenir Québec, un parti qui s’estime à la porte du pouvoir, est de mauvais augure.

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