De l’aveuglement volontaire à la négligence criminelle
Écrivain SAINT-ALEXANDRE-DEKAMOURASKA
Dans le Bas-du-Fleuve, dans les années 70, lorsque nous avions pu passer deux soirées à veiller sur le patio en tee-shirt et en short, tout le monde s’accordait pour dire que nous avions connu un « fichu de bel été ». Il ne fallait pas songer à cette époque entreprendre le jardin avant le 20 juin et, à partir du 15 août, il devenait impérieux de récolter nos légumes par crainte du gel qui pouvait frapper à tout moment. Dès novembre, les glaces commençaient à se former sur le Saint-Laurent, protégeant ainsi les berges des tempêtes d’automne, toujours menaçantes.
À la même époque cependant, on lançait un premier cri d’alarme. À la suite de la commande d’une étude passée auprès du Massachusetts Institute of Technology (MIT), le Club de Rome publiait le 1er mars 1972 un rapport dont les conclusions étaient cinglantes. Surnommé « Halte à la croissance », ce rapport donnait en effet «soixante ans au système économique mondial pour s’effondrer, confronté à la diminution des ressources et à la dégradation de l’environnement». Beaucoup de réactions à suite de ces révélations, dont celles de tout un pan de la jeunesse prenant le relais, passant à l’action et proposant des solutions qui seront en peu de temps trop rapidement considérées comme utopistes et non réalistes.
Depuis, les signaux d’alarme n’ont cessé de retentir. Et en cet été 2018 où mon pays du Bas-duFleuve s’est donné des allures de Provence, il semble de plus en plus évident que nous avons atteint le point de bascule. La réalité du dérèglement climatique est aujourd’hui indéniable. Si on a pu, pendant trop longtemps, considérer sans trop y croire ou en les prenant avec circonspection l’ensemble de ces études, analyses, et autres pronostics qui nous prévenaient du pire, force est de constater aujourd’hui que le pire est à nos portes. Le nier encore aujourd’hui et privilégier l’immobilisme ne relève plus de l’aveuglement volontaire, mais procède bien de la négligence criminelle, notamment de la part de nos gouvernements.
Plan d’action
En cette période d’élections au Québec, il convient aujourd’hui qu’on nous tienne un discours crédible qui fasse état de cette réalité et qu’on nous propose un plan d’action à la hauteur de la menace. De fait, les enjeux sont si importants (notre survie et celle de milliers d’espèces, rien de moins!), les délais si courts, le déni si puissant, que nous devons agir comme si nous étions en état de guerre, envisager une mobilisation générale, faire de la lutte contre le réchauffement climatique et à ses conséquences la priorité absolue. Le gouvernement qui sera élu dans quelques semaines devrait former un super ministère, non pas une coquille bidon, mais une véritable task force où seraient concentrées toutes les forces vives et toutes les énergies disponibles.
Ce gouvernement devrait se doter d’un plan d’action qui se déploierait selon deux axes. D’une part, on mettrait en oeuvre, à très court terme, des mesures pour contrer les effets immédiats du réchauffement : climatisation des hôpitaux et autres CHSLD ; formation de groupes tactiques sur un pied d’alerte constant pour contrer inondations, chaleurs excessives, sécheresses, feux de forêt, érosion des berges ; règlements draconiens concernant l’émanation du monoxyde de carbone et autres gaz toxiques, etc. Parallèlement, on s’attaquerait aux causes premières du fléau, ce qui signifie d’envisager un changement de paradigme global, de s’orienter vers une véritable et impérieuse révolution verte, moins tranquille celle-là, et, ce, à très court terme. La transition sera douloureuse mais l’inertie, elle, ne sera rien de moins que létale et mortifère.
En temps de guerre, on prend des mesures exceptionnelles. On sensibilise et on mobilise la population, on émet des obligations dites « de la Victoire », on rallie les forces vives de la nation, on rationne si nécessaire, on déploie toutes les énergies disponibles pour contrer l’ennemi. On pourrait par exemple offrir une amnistie à ceux qui thésaurisent des fortunes dans les paradis fiscaux et les inviter à rapatrier ces sommes phénoménales pour alimenter un fonds d’urgence. De toute façon, leurs placements offshore ne vaudront plus rien quand toutes les « shores » auront été lessivées. D’autre part, cet effort collectif, nécessaire et impérieux compte tenu de la gravité de la situation, il ne peut s’avérer que positif en cette époque du chacun pour soi et d’une atomisation sociale qui grève tout élan de solidarité.
Nous avons trop longtemps fermé les yeux. Nous faisons face à la pire catastrophe à laquelle l’humanité ait été confrontée. Les heures, les jours, les semaines, les mois nous sont maintenant comptés. Élire pour les quatre prochaines années un gouvernement qui ne fera, comme tous les autres, que brasser en surface cette bouillie néolibérale dans laquelle nous sommes en train de nous noyer équivaut à signer en bonne et due forme notre propre arrêt de mort.