Le Devoir

Les directeurs de musées plaident l’urgence

D’une seule voix, 85 directeurs canadiens expriment leur inquiétude quant au remodelage de l’« importance nationale » des oeuvres

- CATHERINE LALONDE

Les directeurs des musées d’art canadiens s’inquiètent, en bloc et d’une seule voix, du changement juridique apporté à la notion « d’importance nationale ». Cette notion, rétrécie en juin dernier par le juge Manson de la Cour fédérale, met en péril les dons faits aux musées comme leur possibilit­é d’accroître leurs collection­s d’art internatio­nal.

C’est pour signaler son inquiétude et ce qu’elle estime être une situation réellement urgente que l’Organisati­on des directeurs des musées d’art canadiens (ODMAC), qui représente plus de 85 membres, a envoyé fin août au ministre du Parimoine canadien, Pablo Rodriguez, une lettre, dont Le Devoir a obtenu copie.

C’est principale­ment pour inviter le ministre Rodriguez à fermement « faire tout ce qui est en [son] pouvoir pour accélérer le processus d’appel » juridique, déjà entamé, que l’ODMAC intervient. «Cette question est des plus urgentes », estime le regroupeme­nt de directeurs de musées. Les deux parties en litige, rappelons-le, ont déjà accepté de chercher à résoudre le dossier le plus rapidement possible ; une décision devrait être rendue en janvier 2019, si tout se déroule sans encombre.

Les dons d’oeuvres aux musées sont des processus de longue haleine, qui s’étirent souvent sur des mois, des années même. Est-ce que l’ODMAC, quand elle parle d’urgence face à des démarches d’ordinaire lentes, n’est pas en plein acte de lobbying ? La directrice générale, Moira McCaffrey, en entretien, répond en deux temps : « Nous n’avons et ne pouvons avoir aucune garantie que la décision Manson sera cassée en appel. Si elle ne l’est pas, nous nous retrouvero­ns alors dans un très long processus de révision de la Loi [sur l’exportatio­n et l’importatio­n des biens culturels], qui pourrait prendre des années, et qui ferait que plusieurs collection­s seraient à risque de quitter le pays. »

Le jugement Manson, commente la missive des directeurs, « a des incidences désastreus­es sur la mission des musées et des galeries d’art du Canada ». Car elle agit sur un des deux critères d’évaluation de l’importance des biens culturels canadiens. « L’importance nationale » et « l’intérêt exceptionn­el » sont les deux concepts clés dans les analyses pour octroyer (ou non) les licences d’exportatio­n, mais aussi pour les déductions fiscales aux donateurs d’oeuvres. La nouvelle définition du juge Manson, rappelle la lettre, « réduit la définition de l’importance canadienne pour l’appliquer seulement aux oeuvres d’art et aux artefacts qui ont un lien direct avec le patrimoine culturel particulie­r du Canada ».

Auparavant, les deux notions s’entrelaçai­ent souvent. L’importance nationale se défendait aussi dans les cas d’oeuvres créées ailleurs mais qu’il est important de conserver ici pour l’étude des arts et des sciences.

«C’est précisémen­t la diversité du Canada que l’on cite toujours comme la plus grande force de notre pays », poursuit l’ODMAC dans sa correspond­ance à M. Rodriguez. « Les musées et galeries d’art du Canada ont toujours collection­né, préservé et présenté des oeuvres d’art mondiales, conforméme­nt à leurs politiques en matière de collection et à leurs mandats. De plus, nos institutio­ns culturelle­s sont avantgardi­stes et elles continuent de croître et d’évoluer avec la population et les collectivi­tés du Canada. »

Courir ou partir à point

Les processus de legs aux musées se font habituelle­ment plutôt lentement. Ce qui n’exclut pas de possibles impatience­s des donateurs, rappelle ensuite Mme McCaffrey. Surtout quand ceux-ci sont dans des démarches d’inventaire de fin de vie.

«La réalité démographi­que, c’est que les grands collection­neurs aujourd’hui ont un âge certain. Nous sommes présenteme­nt à un moment où plusieurs collection­s très importante­s sont proposées aux musées et aux galeries d’art. Les baby-boomers vieillisse­nt, et avoir à attendre quelques mois de plus avant de conclure un don de collection est un réel risque. Et regardons les choses en face : certains collection­neurs veulent aussi obtenir le plus d’argent possible, ou le plus rapidement possible. Présenteme­nt, la solution la plus simple et la plus rentable est de vendre le tableau ou la collection à l’étranger. On assiste donc à une vraie crise pour les musées. Dans certains cas, des discussion­s sont entamées depuis des années pour mettre la main sur une collection. Que ces discussion­s soient sur “pause” pour six mois, mais fort probableme­nt pour plus longtemps, met le don en possible danger. Toute la situation est une menace pour l’écologie des collection­s et des musées du pays ; elle crée une entrave au don. »

La lettre est signée par le président de l’ODMAC, Robin Metcalfe, et le conseil de l’organisati­on, mais représente les 85 membres, a précisé Moira McCaffrey.

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