Le Devoir

Langue fourchue et lunettes roses

- LOUISE BEAUDOIN

La campagne électorale aura ramené à l’avant-scène la question de l’avenir du français au Québec tout en opposant frontaleme­nt les frères ennemis que sont, sur ce sujet, la Coalition avenir Québec et le Parti québécois. Cela nous change des milliards de dollars en promesses ainsi que des « mesurettes » qui pleuvent jour après jour, en même temps que de la dynamique principale PLQ c. CAQ qui s’est installée. Trente ans après le documentai­re Disparaîtr­e. Le sort inévitable de la nation française d’Amérique ? de Lise Payette, le chef de la CAQ craint encore « que nos petits-enfants ne parlent plus français », alors que celui du PQ est allé jusqu’à dire que « le principal danger pour le français » est François Legault.

C’est de bonne guerre, puisque le vote francophon­e est au coeur de la lutte sans trêve que se livrent la CAQ et le PQ. Pourtant, Lisée et Legault savent tous les deux que le véritable problème en matière linguistiq­ue est le laxisme libéral.

D’ailleurs, il n’aura fallu que quelques minutes pour que Marie Montpetit et Christine St-Pierre viennent une fois de plus nous dire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pas question d’exprimer la moindre sensibilit­é à l’égard de cette appréhensi­on « historique » partagée par nombre de nos concitoyen­s.

En fait, dans la réalité, ce qui est véritablem­ent inquiétant, c’est le peu de force d’attraction du français à Montréal. Notamment parce que le français en tant que langue de travail y est en déclin, parce que la Ville de Montréal ne joue pas son rôle en laissant croire que l’anglais et le français sont sur un pied d’égalité, mais aussi parce que la francisati­on des nouveaux arrivants y est un échec, comme le rapportait, à la fin de 2017, non pas le chef de la CAQ ni celui du PQ, mais la vérificatr­ice générale elle-même. Au cours des six ans ayant précédé le rapport de la vérificatr­ice, environ 100 000 immigrants se sont installés au Québec, principale­ment dans la région de Montréal, sans connaître un mot de français. Or, 90 % de ceux qui ont suivi les cours de francisati­on sont incapables de fonctionne­r au jour le jour en français. Cette responsabi­lité, les gouverneme­nts successifs l’ont mal assumée.

Car, aussi roses les lunettes de M. Couillard puissentel­les être, ce n’est pas avec de tels résultats qu’on assure au français sa fonction de langue publique commune dans la métropole. Lundi, pourtant, malgré ce bilan accablant, le premier ministre s’entêtait à dire que « le Québec performe [sic] bien ».

Côté caquiste, on souhaite remédier à la situation, mais le fait de ne plus donner autant d’importance au français dans la sélection des immigrants envoie un bien mauvais signal. Surtout, la menace d’expulsion en cas d’échec, qui repose sur le bon vouloir du gouverneme­nt fédéral, est totalement irréaliste : l’indépendan­tiste qui sommeille en François Legault lui aurait-il fait croire que le Québec pourrait agir comme bon lui semble ?

Il faut sans doute se fier davantage au rapport de la députée d’Iberville, Claire Samson, présenté en 2016 et comprenant des engagement­s visant à « assurer la pérennité de notre langue », ainsi qu’un « vigoureux coup de barre pour faire de la francisati­on des néo-Québécois une véritable priorité nationale », pour se convaincre que la CAQ pourrait faire plus et mieux, comme le veut ironiqueme­nt son slogan.

Qu’en pense, par ailleurs, Québec solidaire ? On l’a peu entendu dans ce débat et sa plateforme, sur ce sujet, demeure bien mince.

Quant au Parti québécois, son programme en matière linguistiq­ue est substantie­l. Une de ses mesures phares, soit l’exigence de connaître le français préalablem­ent à l’arrivée, couplée au jumelage d’employeurs potentiels en région, assurerait probableme­nt un plus grand succès d’intégratio­n et constituer­ait une motivation forte. Mais pour en arriver à mettre en oeuvre ce plan, il faudra d’abord que Jean-François Lisée mette K.O. ses adversaire­s jeudi soir lors du débat des chefs, en prenant bien soin, toutefois, de la tourner sept fois dans sa bouche, sa langue.

Cependant, rappelons en terminant qu’aucune mesure ne remplacera la volonté des Québécois de continuer à vivre en français. Or cette volonté est-elle toujours aussi forte, aujourd’hui, en 2018 ?

Ce qui est véritablem­ent inquiétant, c’est le peu de force d’attraction du français à Montréal. Notamment parce que le français en tant que langue de travail y est en déclin […] mais aussi parce que la francisati­on des nouveaux arrivants y est un échec.

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