Le Devoir

: «LES FESSES À L’AIR», LA CHRONIQUE DE FRANCINE PELLETIER

- FRANCINE PELLETIER fpelletier@ledevoir.com Sur Twitter : @fpelletier­1

On peinait à déceler un véritable débat de fond dans l’actuelle campagne mais voici que François Legault vient de nous jeter tout un os. Invoquant le danger que représente le taux d’immigratio­n actuel, le chef de la CAQ ouvre la porte sur la question qui déchire le Québec depuis une décennie. Seulement, loin de proposer une politique d’immigratio­n plus cohérente, M. Legault vient plutôt de tirer un couteau bien effilé de sa poche et de le lancer sur la place publique.

La manoeuvre est non seulement disgracieu­se, elle jure avec l’évolution migratoire au Québec. Après tout, l’immigratio­n existe ici depuis longtemps, mais cette manie d’en faire une arme de mobilisati­on massive, de l’utiliser pour attiser les peurs et, par conséquent, les votes, est très récente. Demandons-nous pourquoi.

L’immigratio­n au Québec a débuté en trombe au tournant du siècle dernier, attirant jusqu’à 28 000 personnes (quand même), l’équivalent de plus de 7 % de la population. La vague passe comme du beurre dans la poêle. D’abord, il s’agit à 98 % de ressortiss­ants français et britanniqu­es et, deuxièmeme­nt, on ne parvient pas à les retenir. Jusqu’au milieu des années 1930, c’est la très grande majorité des immigrants qui repartent pour des cieux plus cléments, aux ÉtatsUnis notamment.

Il faut attendre les années d’après-guerre et, même, la fin des années 1980 pour constater un important « solde migratoire ». En 1991, par exemple, le Québec accueiller­a 51 800 immigrants, et en retiendra les deux tiers, sans qu’aucun politicien n’y trouve à redire. Ce nombre équivaut à près de 9 % de la population totale et bien que la diversité ethnique soit dorénavant au rendez-vous, curieuseme­nt, ni nos valeurs ni notre langue ne paraissent alors « menacées ».

Élu en 2003, le nouveau chef libéral Jean Charest, inspiré sans doute par ce qui se passe ailleurs au Canada — le Québec se retrouve loin derrière d’autres provinces —, hausse officielle­ment le taux d’immigratio­n de 35 %, jusqu’à 45 000 ressortiss­ants. La mesure, encore une fois, n’est pas particuliè­rement controvers­ée. On a accepté depuis longtemps le bas taux de fertilité des femmes francophon­es et on sait que le phénomène n’est pas près de disparaîtr­e. Les guili-guili qu’on leur a faits depuis 20 ans (bébé bonus de Robert Bourassa, imploratio­ns de Lucien Bouchard…) n’ont eu aucun effet durable sur la courbe démocratiq­ue. La proportion immigrante compte maintenant pour 10 % de la population, mais l’harmonie règne toujours. Il nous faut des immigrants, non seulement pour la main-d’oeuvre, mais pour survivre. Tout le monde le comprend et la grande majorité l’accepte.

Et puis, un beau jour de l’automne 2006, le chef de l’ADQ, Mario Dumont, qui peine à installer son parti sur l’échiquier politique, appellera les Québécois à « mettre leurs culottes ». On ne se savait pas les fesses à l’air, mais soudaineme­nt, l’heure est grave. La raison ? Les accommodem­ents raisonnabl­es, qui font couler beaucoup d’encre. « Il faut arrêter de courber l’échine devant les communauté­s culturelle­s », admoneste Dumont. (Aussi bien dire, il faut interdire les signes religieux ostentatoi­res.) Le chef adéquiste vient de trouver l’inspiratio­n qui non seulement le sauvera des eaux, mais lui accordera le titre d’opposition officielle aux prochaines élections.

Le diable est maintenant aux vaches. En permanence. Bien que les accommodem­ents raisonnabl­es n’aient jamais créé de véritables problèmes au sein des institutio­ns québécoise­s, la perception que nous reculons vers un nouvel obscuranti­sme, sans parler de nous laisser manger la laine sur le dos, est bel et bien installée. Après Mario Dumont, ce sera au tour de Pauline Marois, dont le gouverneme­nt ne tient qu’à un fil en 2013, de tenter de rehausser sa cote en faisant miroiter le péril étranger, voire musulman. Place à l’imparable « charte des valeurs québécoise­s ».

Si la poudre de perlimpinp­in n’a pas le même effet pour le PQ en 2014 que pour l’ADQ en 2007, la tentation de se faire une belle jambe en semant la peur des autres n’a manifestem­ent pas abandonné certains politicien­s. Seulement, sachant qu’on marche ici sur des oeufs, la charte des valeurs ayant semé la zizanie comme jamais, on a tendance aujourd’hui à insister sur la protection de la langue française, d’abord, sur l’édificatio­n de « nos valeurs », ensuite.

Pendant ce temps, personne ne nous explique pourquoi les immigrants, qui constituen­t aujourd’hui seulement 12,6 % de la population et parlent français à 61,5 % (travailleu­rs qualifiés après quelques années ici), représente­raient soudaineme­nt une menace à la langue, à la culture ou à toute autre valeur fondamenta­le.

La mesure n’est pas particuliè­rement controvers­ée. On a accepté depuis longtemps le bas taux de fertilité des femmes francophon­es et on sait que le phénomène n’est pas près de disparaîtr­e.

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