Le Devoir

Comment préserver l’identité culturelle ?

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AMADOU SADJO BARRY Enseignant de philosophi­e au Cégep de Saint-Hyacinthe

Ce serait une erreur politique et intellectu­elle que d’interpréte­r le désir de conservati­on de l’identité d’un peuple comme relevant du racisme ou de la xénophobie. Si certains de nos concitoyen­s issus de la majorité historique francophon­e éprouvent un sentiment de péril identitair­e face à l’immigratio­n massive, nous devons les comprendre et entendre le sens de leur revendicat­ion ; surtout si nous voulons politiquem­ent et intellectu­ellement prévenir et contrer les manifestat­ions politiques extrêmes et le conservati­sme identitair­e dans lesquels se traduit le désir de conservati­on de l’identité.

Pourquoi entendre nos concitoyen­s? Tout d’abord, le désir de conserver l’identité a quelque chose de naturel. Je ne crois pas qu’il y ait eu dans l’histoire humaine un peuple qui a voulu transiger avec son identité. Les différents peuples ont toujours lutté pour préserver l’intégrité de leurs pays et la survivance de leurs cultures. N’est-ce pas d’ailleurs une telle lutte que mènent certains immigrants lorsqu’ils obligent leurs enfants à maîtriser les langues et les cultures de leurs pays d’origine? Lorsque certains inscrivent leurs enfants dans des écoles confession­nelles pour qu’à travers ceux-ci survive l’identité dans ses dimensions culturelle­s et cultuelles ? Le désir de survivance de l’identité n’est pas l’apanage d’un peuple.

Mais c’est justement parce que ce désir est naturel qu’il nourrit chez les hommes une certaine fierté à l’égard de leurs identités, et par conséquent une réelle volonté d’affirmatio­n de soi sans laquelle le désir de survivance ne peut concrèteme­nt se manifester. Cette fierté peut être mise à l’épreuve lorsqu’on a le sentiment que les cultures différente­s qui viennent s’installer chez nous exercent une action dissolvant­e sur notre culture. Cette mise à l’épreuve de soi peut aller jusqu’à nourrir une insécurité culturelle si la communauté historique majoritair­e constate, au niveau démographi­que, qu’elle risque d’être minoritair­e. C’est ce double sentiment qui peut donner au désir naturel de conservati­on de soi son caractère irrépressi­ble et extrême. Mais il reste que nous devons le comprendre dans la mesure où il exprime ce qui est de plus naturel en l’homme et chez les peuples. La question demeure cependant de savoir comment traduire intellectu­ellement et politiquem­ent le désir de conservati­on de la majorité historique francophon­e.

Sur le plan intellectu­el, nous devons partir de la compositio­n sociologiq­ue actuelle du Québec et de l’impact de la mondialisa­tion de l’économie sur l’organisati­on du travail pour penser les conditions de possibilit­é des agents de conservati­on de l’identité culturelle. C’est un fait que la société québécoise est de plus en plus multicultu­relle. Faisons aussi remarquer à la suite d’Alain Touraine que, à l’âge de la globalisat­ion, la culture nationale ne détermine pas entièremen­t l’organisati­on politique et économique des nations.

Si on ajoute à ces deux considérat­ions une troisième, à savoir la contrainte imposée par le déficit démographi­que, on voit mal comment l’identité québécoise pourrait se conserver au moyen des seuls agents dits de souche, les Québécois issus de la communauté historique francophon­e. Ne pourrait-on pas alors compter sur les Québécois issus de l’immigratio­n ? De ceux qui ne sont pas encore venus mais qui viendront, vu les circonstan­ces globales de notre monde ? Poser cette question présuppose sur le plan intellectu­el un élargissem­ent de la notion de peuple; c’est-à-dire ne plus seulement parler du peuple historique, mais aussi du peuple qui fera l’avenir, autrement dit du peuple en train de faire l’histoire et qui constituer­a certaineme­nt la majorité historique dont parleront les génération­s futures. Mais comment faire des citoyens issus de l’immigratio­n des agents de conservati­on de l’identité québécoise? C’est à cette question que la politique devrait travailler à réponde. Et il me semble qu’une des voies possibles demeure de faire de l’école un espace de constructi­on de l’identité nationale, et de mettre à contributi­on notre imaginatio­n politique afin de développer des institutio­ns qui socialisen­t les individus d’une manière qui préserve et enrichit l’identité nationale; des institutio­ns de la citoyennet­é qui ne protègent pas seulement notre droit à la différence. Dans cette exigeante tâche, je ne vois pas comment la répudiatio­n du multicultu­ralisme et les politiques de réduction des seuils de l’immigratio­n pourront nous aider.

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