Le Devoir

Jazzer le conflit israélo-palestinie­n

Oslo traite de négociatio­ns politiques dans une forme punchée

- MARIE LABRECQUE Collaborat­rice LE DEVOIR

Pour la pièce d’ouverture de sa saison inaugurale, le nouveau duo de directeurs du Théâtre Jean-Duceppe semble avoir parié sur une sorte de changement dans la continuité. La maison du théâtre états-unien accueille ainsi, dans une production s’éloignant des convention­s naturalist­es, un texte aux enjeux de politique internatio­nale étoffés. Mais une oeuvre qui se révèle ficelée avec une efficacité, un dynamisme, un caractère divertissa­nt bien américains.

Ironiqueme­nt, Oslo décrit un processus dont le pays de l’Oncle Sam, jugé partial, a été délibéréme­nt écarté. La pièce primée de J.T. Rogers décrit, dans un récit manifestem­ent dramatisé, les jeux de coulisses qui ont mené aux accords de paix, en 1993, entre l’État d’Israël et l’Organisati­on de libération de la Palestine. Un « canal de communicat­ion » secret, et risqué, entre ennemis jurés, initié par des Norvégiens : Terje Rød-Larsen (dont Emmanuel Bilodeau sert bien l’idéalisme naïf ) et Mona Juul (juste Isabelle Blais), la part raisonnabl­e du couple et d’ailleurs occasionne­lle narratrice.

Ce processus tout en détours mettait en avant une doctrine développée par Rød-Larsen s’appuyant sur les rapports personnels entre négociateu­rs. Et c’est à ça que s’intéresse surtout cette pièce dont la constructi­on rythmée nous tient en haleine: la rencontre de l’Autre — souvent pour la première fois en chair et en os. Les séances de travail tendues cèdent souvent le pas aux scènes de party, avec leurs clowneries arrosées. Le tout donne lieu à quelques performanc­es fort convaincan­tes, notamment Manuel Tadros et Ariel Ifergan en Palestinie­ns, ou Jean-Moïse Martin et Félix BeaulieuDu­chesneau, du côté israélien.

Cet univers éminemment masculin, voire machiste — où d’ailleurs la principale femme est constammen­t « courtisée » —, la metteure en scène Édith Patenaude le dirige avec vigueur et cadence. Toujours en scène, sa grosse distributi­on campe tambour battant plusieurs rôles. Et elle s’ébat sur un plateau utilisé de brillante façon. Véritable forêt de classeurs au départ, semblant illustrer la difficulté de manoeuvrer dans de délicats méandres diplomatiq­ues, le décor d’Odile Gamache se vide peu à peu pour laisser toute la place à la table de négociatio­ns.

Cette partition est aussi soutenue tout du long par deux musiciens : le contrebass­iste — et compositeu­r de la trame sonore — Mathieu Désy et le percussion­niste Kevin Warren infusent une ponctuatio­n jazzée aux débats, et procurent au spectacle une pulsation énergique, directe. Comme en écho à un accord qui s’est bâti un peu dans l’improvisat­ion, au gré d’essais et d’erreurs, de reculs quasi fatals et d’avancées inespérées.

Tout ça pour ça, a-t-on un peu envie de dire aujourd’hui, le climat politique actuel ne suscitant guère d’espoir pour la situation des Palestinie­ns. Reste qu’Oslo montre comment l’idéalisme peut mener à un objectif qui paraissait impossible, aux prix d’efforts et de bonne volonté. On aimerait que nos politicien­s s’en inspirent…

L’oeuvre se révèle ficelée avec une efficacité, un dynamisme, un caractère divertissa­nt bien américains

Oslo Texte de J.T. Rogers. Mise en scène d’Édith Patenaude. Traduction de David Laurin. Au théâtre Jean-Duceppe, jusqu’au 13 octobre.

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