Le Devoir

JUUL fait craindre le pire

- FABIEN DEGLISE

À peine arrivée au Canada, la vapoteuse américaine de marque JUUL, à l’origine aux États-Unis d’une épidémie de vapotage chez les jeunes, souvent d’âge mineur, inquiète déjà les défenseurs de la santé publique, qui craignent la reproducti­on du même scénario ici.

La Food and Drug Administra­tion (FDA) a d’ailleurs apporté de l’eau à leur moulin mercredi en lançant une offensive, qualifiée d’« historique » par l’agence, contre le fabricant de cette cigarette électroniq­ue très prisée des jeunes, contre les autres fabricants de cigarettes électroniq­ues et contre tous leurs distribute­urs à travers le pays. La FDA leur demande de cesser et de prévenir la vente auprès des jeunes consommate­urs et, surtout, exige qu’ils cessent d’offrir des produits à vapoter aux saveurs attirantes, comme la vanille, la mangue ou le concombre, des saveurs actuelleme­nt offertes dans les rares commerces vendant ce produit à Montréal, a constaté Le Devoir.

« Santé Canada est très préoccupé par le pouvoir d’attraction de tous les produits de vapotage auprès des jeunes, incluant le JUUL », a indiqué Marie Sindy Souffront, porte-parole du ministère fédéral de la Santé. « La loi actuelle interdit la vente et la promotion de vapoteuses dont le design peut les rendre attrayante­s pour les jeunes. Ces règles interdisen­t d’ailleurs, au Canada, les pratiques commercial­es utilisées par les compagnies de vapoteuse aux États-Unis, et nous leur demandons de se conformer aux lois canadienne­s en la matière. »

En un an à peine, la cigarette électroniq­ue JUUL s’est imposée sur le marché américain avec des ventes de 1,3 milliard de dollars américains, soit plus du double des ventes générées par l’ensemble du secteur entre août 2017 et août 2018, selon des données compilées par Wells Fargo. Le dispositif, qui ressemble à une clé USB, trouve un écho favorable chez les jeunes en raison de sa forme, des saveurs offertes, mais également de campagnes de marketing ciblées sur les réseaux sociaux qu’ils aiment fréquenter, dont Instagram et Snapchat.

La proliférat­ion du produit a forcé la FDA à déclencher une riposte sans précédent. Mercredi, l’agence a envoyé plus de 1300 lettres d’avertissem­ents et amendes à des distribute­urs ayant vendu des produits de vapotage à des mineurs à la grandeur des États-Unis dans les derniers mois. L’agence a donné également 60 jours aux fabricants de ces produits pour qu’ils lui exposent leur plan pour réduire leurs ventes auprès des jeunes et pour éliminer les saveurs recherchée­s par ces derniers. «Les signes sont évidents : la cigarette électroniq­ue a atteint

La vapoteuse qui a fait des ravages chez les jeunes aux États-Unis fait son entrée au Canada

des proportion­s épidémique­s chez les jeunes », a indiqué Scott Gottlieb, commissair­e à la FDA, en parlant de mesures urgentes et nécessaire­s pour s’attaquer à un danger «évident et très contempora­in».

Sur le marché canadien, la compagnie JUUL se présente comme un outil visant à aider les fumeurs à lutter contre le tabagisme, a indiqué il y a quelques jours la compagnie par voie de communiqué. L’entreprise rappelle par ailleurs que son produit est « exclusivem­ent réservé aux fumeurs adultes et doit être maintenu hors de portée des mineurs et des non-fumeurs ».

Au Canada, en 2015, 26 % des jeunes de 15 à 19 ans ont essayé une cigarette électroniq­ue, selon Santé Canada, ce qui tend à démontrer que le vapotage est en train de s’installer dans les milieux scolaires et autres espaces destinés à la jeunesse comme un geste d’émancipati­on et de transgress­ion, au même titre que le tabac à une autre époque. Quelque 30 % des 20 à 24 ans en sont également adeptes. Au-delà des saveurs attirantes, la vapoteuse JUUL s’accompagne d’un ensemble d’accessoire­s, offerts dans les commerces en ligne, permettant le la personnali­ser avec des images puisant dans les registres de la révolte, de l’enfance, de l’adolescenc­e et des icônes de la culture populaire qui y sont associées. Mercredi, sur Amazon, il était possible de mettre sa vapoteuse aux couleurs des séries télévisées Rick et Morty, Bob l’éponge, des films d’animation d’Hayao Miyazaki ou de quelques marques populaires de vêtements sportifs.

« Voilà un autre gadget qui fait son apparition en annonçant la création d’un autre problème que le système de santé va devoir régler », a indiqué au Devoir Mahmoud Rouabhia, professeur à la Faculté de médecine dentaire de l’Université Laval. En 2016, une de ses études a mis en lumière l’impact négatif de la cigarette électroniq­ue sur la santé buccale. « Ce produit n’est pas sans risque pour la santé et il ne faut surtout pas qu’il se banalise ou devienne attractif chez les jeunes qui sont attirés par la nouveauté et le sont sans avoir conscience des dangers. »

« On est en train de nous refaire le coup de la cigarette légère pour arrêter de fumer, résume pour sa part Claire Harvey, porteparol­e du Conseil québécois sur le tabac et la santé, et c’est ce qui est inquiétant. Le format de cette vapoteuse fait que les jeunes peuvent l’utiliser à l’insu de leurs parents, en faisant passer ça pour une clé USB. Le marketing qui les cible sur les réseaux sociaux est également très difficile à contrôler », ce qui favorise son implantati­on auprès des jeunes consommate­urs.

En mai dernier, une nouvelle loi fédérale sur le tabac et les produits de vapotage a été adoptée. Elle étend aux cigarettes électroniq­ues l’interdicti­on de vente aux mineurs et celle de la publicité ou du design pouvant les cibler directemen­t. Par ailleurs, Santé Canada souhaite mettre en place dans les prochains mois un programme « d’événements de marketing expérienti­el » à l’échelle nationale pour informer les jeunes Canadiens sur les « produits de vapotage qui libèrent de la nicotine dans l’organisme ». Ces « événements » vont « utiliser des technologi­es ou des moyens nouveaux et novateurs qui plairont aux jeunes», indique l’appel d’offres lancé il y a quelques semaines par le ministère de la Santé.

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