Le Devoir

Au-dessus de la mêlée ou dans l’arène ?

Du début de la campagne jusqu’au débat, les différente­s stratégies des aspirants premiers ministres

- AMÉLI PINEDA

Avant même que l’élection soit déclenchée, ils avaient promis une « campagne positive », mais ils ont fini par envoyer des flèches à leurs adversaire­s. À quelques heures du débat des chefs, quel ton adopteront-ils pour débattre de leurs idées sans tomber dans les attaques personnell­es ? « Le débat politique implique de la confrontat­ion et du conflit. Lorsqu’on parle d’une campagne positive, c’est un peu un non-sens. On veut que les idées se confronten­t, on veut qu’il y ait un débat d’idées », souligne Olivier Turbide, professeur au Départemen­t de communicat­ion sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal.

Le débat des chefs, rappelle M. Turbide, est un important rendez-vous pour chaque électeur, puisque c’est le moment où il peut mesurer la capacité des chefs à faire face à la critique.

« Le politicien sera-t-il capable de « s’en sortir », d’esquiver des coups, de contre-attaquer, fera-t-il preuve de répartie, a-t-il du charisme, du bagou et, surtout, sera-t-il capable de bien nous représente­r ? C’est tout ça qui est évalué pendant la campagne, mais surtout lors du débat », fait valoir M. Turbide.

Les attaques personnell­es sont même pertinente­s, ajoute Thierry Giasson, professeur au Départemen­t de science politique et chercheur principal du Groupe de recherche en communicat­ion politique de l’Université Laval.

«Les attaques ne sont pas un problème tant qu’elles ne visent pas l’intégrité physique ou l’apparence. Par contre, attaquer un adversaire sur un bilan, lui dire « vous ne dites pas la vérité », ça, c’est légitime, parce qu’on s’attaque aux actions et aux

propositio­ns », souligne M. Giasson.

D’ailleurs, ce sont les électeurs qui mettent les limites, selon Graham Fraser, professeur à Institut d’études canadienne­s de l’Université McGill. Les attaques sans fondement sont très rarement tolérées, note-t-il.

«Lorsque les candidates libérales Marwah Rizqy et Christine St-Pierre ont traité le chef caquiste, François Legault, de sexiste pour avoir publié un texto de Gertrude Bourdon, ça n’a pas du tout été bien reçu. Une personne raisonnabl­e qui observe ça se dit qu’une telle accusation n’est pas fondée », dit M. Fraser.

Ignorer ses adversaire­s

Les premiers jours de campagne, le premier ministre sortant, Philippe Couillard, refusait de commenter les sorties médiatique­s de ses adversaire­s. Le chef du PLQ se contentait d’expliquer en long et en large ses propositio­ns pour « faciliter la vie » des gens.

« Généraleme­nt, c’est rare de voir un premier ministre sortant faire des attaques. Il va plutôt camper une position de distance, va tenter de se magnifier, de se tenir loin de la petite politique », indique M. Giasson.

En effet, l’état-major du PLQ a laissé à des candidats le soin de tantôt demander à l’UPAC d’enquêter sur l’« affaire Éric Caire », tantôt dresser « le bilan de la semaine désastreus­e » de la CAQ, tantôt recenser les « promesses électorale­s abandonnée­s par François Legault ».

Ce n’est qu’au jour 6 de la campagne que M. Couillard a fini par attaquer M. Legault. Le chef caquiste venait de désigner comme « le plus grand problème économique» au Québec «la pénurie d’emplois payants » — plutôt que la pénurie de main-d’oeuvre. Il est « complèteme­nt à côté de la plaque », a lâché M. Couillard.

« M. Couillard a finalement décidé de jouer la confrontat­ion et d’attaquer lui-même M. Legault, entre autres sur la question économique, pour marquer la différence entre leurs discours», note M. Giasson.

François Legault a aussi tenté de rester au-dessus de la mêlée en commentant peu les engagement­s des autres partis. Il ne rate toutefois jamais une occasion d’écorcher le bilan du premier ministre Couillard.

Peu importe ce que promettent ou disent les libéraux, sa réponse est la même : « Voulez-vous essayer pendant dix-neuf ans un gouverneme­nt qui n’a pas réussi pendant quinze ans, ou essayer une nouvelle équipe ? » disait-il encore lundi. Dans les premiers jours de la campagne, il soutenait pourtant ne pas vouloir « embarquer dans la critique de M. Couillard. Je veux proposer des changement­s. » Depuis, il fait rarement l’un sans l’autre.

« L’approche comparativ­e est souvent utilisée parce qu’elle permet de porter une attaque pour ensuite faire la promotion de sa propre propositio­n. Ça permet de déstabilis­er l’adversaire tout en se mettant en valeur », dit M. Giasson.

Cette stratégie argumentai­re est aussi utilisée par le Parti québécois. Au mot « attaque », le chef Jean-François Lisée préfère celui de « comparaiso­n ». « Quand je dis que la politique de [François] Legault est la pire chose qui pourrait arriver au français, quand je dis que sa politique d’immigratio­n est néfaste, je sais que je ne suis pas dans le positif. Mais j’ai promis au début que je serais dans le comparatif. »

Ses pointes aux adversaire­s, M. Lisée les réserve souvent au détour des phrases qu’il prononce devant les journalist­es. Devant ses militants, le chef péquiste scande des attaques en règle. Il suggère entre autres la «déportatio­n » de François Legault, puisque le chef caquiste a imaginé le test des valeurs pour les immigrants.

Seule attaque quasi frontale, puisqu’il était assis tout près de son adversaire solidaire Vincent Marissal : son appel au vote stratégiqu­e lancé mardi soir, à la toute fin d’un débat dans Rosemont. « Ce n’est pas des farces ! On est pris dans le système actuel et il faut empêcher la CAQ et les libéraux de prendre le pouvoir », a-t-il clamé sur un ton plus combatif que celui auquel il a habitué les journalist­es depuis le début de la campagne. « On le sait, Québec solidaire ne sera pas élu. On le sait, tout le monde le sait. Alors, le seul parti progressis­te qui peut être élu, c’est le Parti québécois », a-t-il ajouté.

Québec solidaire

Le seul parti qui s’est tenu à l’écart jusqu’à présent, note M. Turbide, c’est Québec solidaire, tout comme sa candidate au poste de première ministre, Manon Massé.

« Ils sont un peu les seuls à mener vraiment une campagne positive. Personne ne les interpelle et ils n’interpelle­nt personne. Ils dévoilent leurs idées et ça rejoint une certaine part de l’électorat, mais en même temps, elles se font beaucoup moins confronter que celles des autres partis », dit M. Turbide.

Rares sont les critiques personnell­es que lance Mme Massé. Elle en a fait la preuve lorsque tous les chefs, sauf M. Legault, se sont croisés au siège social de l’Union des producteur­s agricoles du Québec pour faire front commun pour défendre la gestion de l’offre.

Si les autres adversaire­s n’ont pas manqué de souligner l’absence du chef caquiste, Mme Massé n’a pas souhaité la commenter. Cela n’empêche pas Mme Massé de critiquer la vision de ses adversaire­s, notamment en matière d’environnem­ent.

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