Ambitieux projets, vagues échéanciers
Les quatre partis rivalisent de promesses ambitieuses en matière de mobilité durable. On peut y voir une reconnaissance politique que la lutte contre les changements climatiques mais aussi la décongestion de la circulation dans les régions de Montréal et de Québec passent par des réalisations majeures en matière de transport collectif. Le passé étant garant de l’avenir, on peut toutefois douter du réalisme de ces engagements, surtout de leur échéancier, à moins qu’ils ne s’appuient sur un profond changement des mentalités.
Le Parti libéral a dévoilé mardi sa proposition d’assurer la gratuité du transport en commun pour les étudiants et les aînés. Pour ces tranches de la population, l’engagement libéral est même plus généreux que celui de Québec solidaire qui, de son côté, projette de réduire les tarifs de moitié.
Évaluée à 200 millions par an, la promesse libérale est séduisante parce qu’elle est parfaitement réalisable. Elle aurait un effet structurant sur les réseaux de transport en commun, appelés à améliorer leur offre de service pour répondre à une fréquentation accrue, ce qui ne manquerait pas de bénéficier à d’autres usagers. À Sherbrooke, depuis 15 ans, le transport en commun est gratuit pour les étudiants. Pas tout à fait puisque c’est essentiellement l’ensemble des étudiants de cette ville universitaire, qu’ils soient des usagers ou non, qui en paie le coût par le truchement de frais accessoires ajoutés aux droits de scolarité, une forme de socialisation des coûts du transport collectif.
Mais l’effet est le même que celui d’une véritable gratuité. Selon la Société des transports de Sherbrooke, la mesure a entraîné une hausse de la fréquentation de plus de 8 % et une offre de service plus étendue.
Évidemment, cette gratuité limitée, qu’on aurait tort de généraliser puisque c’est l’amélioration du service qu’il faut viser avant tout, n’est qu’une goutte dans l’océan.
De leur besace électorale, tous les partis ont tiré des investissements à long terme dans le transport collectif. Avec des échéanciers nébuleux. Ainsi, le Parti libéral s’est engagé à construire la ligne rose, chère à la mairesse Valérie Plante, sans fixer de date. Le projet n’en est d’ailleurs qu’aux études de préfaisabilité. La Coalition avenir Québec a rejeté le projet et n’est disposée qu’à envisager, pour ce trajet, un mode de transport moins coûteux, comme un tramway. Le Parti québécois a aussi exprimé des réserves au sujet de la ligne rose, effrayé par l’ampleur des coûts.
Quand il est question d’engagements visant des projets aussi considérables, le scepticisme est de mise. Il est bon de rappeler que le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal, reporté à maintes reprises, a été annoncé une première fois en… 1991. L’année de son entrée en service est maintenant arrêtée — du moins, nous l’espérons —, soit 2026. Évalué à près de 4 milliards, le projet compte cinq stations ; la ligne rose, quant à elle, en comte 29.
Fidèle à sa démarche, Québec solidaire a dévoilé un grandiose plan de mobilité pour la région de Montréal, un idéal dans lequel rien ne manque. Le « Grand Montréal Express », pour reprendre le vocable choisi, compte 6 nouvelles lignes de transport et 38 nouvelles stations de métro (dans la phase 1, précise-t-on). La note : 25 milliards répartis sur 12 ans, une somme qui apparaît sous-évaluée.
Le PQ n’est pas en reste avec son « grand déblocage » qui consiste à remplacer le Réseau express métropolitain (REM) par 21 projets de tramways, de trains de banlieue et d’autobus express qui s’étendent dans les couronnes nord et sud. Le hic, c’est qu’il est bien tard pour mettre la hache dans le REM, ce qui rend bien aléatoire le projet péquiste de 7,4 milliards.
Quant à la CAQ, qui se targue de pragmatisme, elle propose un « Plan de décongestion » de 10 milliards qui comprend un tramway pour l’est de Montréal et le prolongement du REM sur les rives sud et nord. Or au moins 4 milliards iraient à la construction d’un troisième lien à l’est entre Québec et Lévis, sans compter le prolongement des autoroutes 13 et 14 au nord de Montréal et l’élargissement de la 30 sur la Rive-Sud. En ce sens, la CAQ est le parti de la continuité.
Prenons ces engagements pour ce qu’ils sont : de grandes orientations dont la réalisation nécessitera des années d’étude et un financement imaginatif. Mais si le Québec est sérieux dans sa volonté de lutter contre les changements climatiques et de contrer la congestion, il doit adopter un modèle de développement urbain qui repose beaucoup moins sur l’automobile individuelle. Il s’agit là d’un projet de société que seule une inébranlable volonté politique, qui traduirait une réelle volonté populaire, peut porter.