Le Devoir

Je suis en deuil

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La Maison Monbouquet­te ferme ses portes… ! « Ma » maison, à laquelle je m’identifie et où j’ai investi 10 ans de ma vie ! Depuis cette annonce, « les endeuillés » n’auront plus de services d’écoute et d’accompagne­ment. Pour moi, ce ne sont pas que des endeuillés. Ils ont un nom, un visage, une histoire. Je les ai rencontrés face à face. J’ai pu constater l’ampleur de leur peine, leur détresse pouvant, parfois, aller jusqu’à vouloir mourir.

J’ai eu le privilège d’être assise tantôt devant un parent, tantôt un conjoint ou un enfant qui me racontaien­t le pire moment de leur vie. Ils m’ont partagé l’histoire du décès de l’être aimé. L’annonce de la maladie, les espoirs fondés sur un traitement, une opération, la rémission, la rechute… La fin de vie constitue toujours un moment d’une grande intensité. J’ai entendu leur culpabilit­é de ne pas avoir fait ceci ou cela. De ne pas avoir été là au moment du décès. De ne pas avoir été capable d’assister au dernier souffle de vie.

J’ai entendu la douleur du proche qui vient de perdre son mari, par suicide. Qui s’accuse, se sent coupable de ne pas avoir vu sa détresse. Et de nous demander comment le dire à leurs enfants que leur papa s’est enlevé la vie.

J’ai écouté la peine de la maman, du papa dévastés par la mort de leur fils mort trop jeune dans un ac- cident. J’ai accueilli le récit du moment où les médecins leur ont demandé la permission de le débrancher. Les doutes qui leur ont fait parfois refuser le prélèvemen­t d’organes. J’ai toujours ressenti ces moments comme un privilège. [...]

Entendre ce que représenta­it cette personne pour eux. Ce qui leur manque, ce qui est le plus difficile. Leurs appréhensi­ons devant l’avenir, leurs projets qui se sont écroulés, leur peur de ne pas y arriver.

J’ai vu leur détresse. Et j’ai vu également leur reconstruc­tion. Voir un sourire qui apparaît là où je n’avais vu que des larmes. De nouveaux projets qui prennent forme. Parfois, un nouveau conjoint qui vient redonner un peu de joie. Une reprise en main de leur vie, là où ils avaient l’impression qu’elle était finie.

J’ai beaucoup appris auprès de ces personnes. J’ai essayé de leur apporter réconfort et empathie. Leur offrir l’espace pour se dire, pleurer ou exprimer toutes les émotions, quelles qu’elles soient, sans jugement et sans restrictio­ns. Suivre pas à pas leur chagrin et aussi leurs doutes, l’énergie qu’ils mettent à aller mieux et à réinvestir dans la vie.

Oui, je suis en deuil de «ma» Maison. Malheureus­ement, l’endroit chaleureux qui aurait pu m’aider à mon tour vient de fermer. Flore Bessette Le 7 septembre 2018

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