Le Devoir

Rachid Taha, symbole d’une France arc-en-ciel, s’éteint à l’âge de 59 ans

Le créateur d’un raï hybridé empruntant à la musique arabe, au rock et au funk est mort mercredi à 59 ans

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Rachid Taha, chanteur d’origine algérienne installé en France qui mélangeait avec émotion la musique arabe, le rock, le funk et la techno pour créer un raï endiablé, est mort mercredi à l’âge de 59 ans.

Sa maison de disques, Naïve, a indiqué sur sa page Facebook que le chanteur s’était éteint dans la nuit de mercredi après avoir subi un arrêt cardiaque à son domicile des Lilas, en banlieue parisienne.

« C’était un ami pour qui j’avais une grande et profonde affection. Rachid Taha était talentueux, original et généreux. C’était un artiste à la fois créatif et atypique. Il incarnait un idéal, une fraternité en actes, combative et militante. Il était l’esprit de cette France arc-en-ciel et tolérante », a réagi l’ancien ministre français de la Culture Jack Lang.

« Que de souvenirs profession­nels : le succès de Ya Rayah, le concert historique de 1,2,3 soleils et que de fêtes, de discussion­s et de rires jusqu’à la fin de la nuit ! Quelle tristesse..! », a pour sa part écrit le producteur Pascal Nègre.

« Rachid Taha était un grand artiste, mon ami et mon frère, il sera dans mon coeur pour la vie », a twitté le chanteur Axel Bauer.

Le « roi du rock’n’raï » venait de terminer un nouvel album, dont la sortie était prévue pour 2019. Il devait aussi amorcer en fin de semaine le tournage du vidéoclip de l’une des nouvelles chansons de cet album, Je suis Africain.

Charisme indéniable

Rachid Taha était une des personnali­tés fortes et attachante­s de la scène rock française dès ses débuts en 1981 avec Carte de séjour, qu’il avait formé à Lyon avec quatre autres musiciens et dont il était le charismati­que leader.

Avec ce groupe, il avait fait sensation en France en 1986 avec son interpréta­tion très personnell­e du Douce France de Charles Trenet. Il a amorcé ensuite une carrière solo au début des années 1990, et il a offert une dizaine de disques, en plus des albums en concert.

L’artiste était par ailleurs devenu un habitué des scènes québécoise­s. Il était venu plus récemment en juillet 2016 — à Montréal pour le 30e anniversai­re du festival Nuits d’Afrique et à Québec pour le Festival d’été.

Engagement­s multiples

Si musicaleme­nt Carte de séjour s’était démarqué en réussissan­t la fusion entre raï et rock — une démarche artistique que ne cessera d’avoir Taha par la suite, mélangeant sons moyenorien­taux avec musiques du monde, funk ou techno —, le groupe était très engagé dans sa prose. Au point de devenir un porte-drapeau de la communauté française d’origine maghrébine de seconde génération.

Né en Algérie, près d’Oran, et arrivé en France à 10 ans, il était encore ouvrier quand il se lança dans l’aventure Carte de séjour. Incarnant la génération «beur», le groupe participa notamment à la fameuse Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983.

Une chanson illustra l’engagement qui caractéris­a Taha jusqu’au bout. Douce

France (1986), que le chanteur et compositeu­r français Charles Trenet créa en 1943 pour soutenir les expatriés de force durant la Seconde Guerre mondiale, Taha en fit l’hymne d’une jeunesse française métissée et tolérante.

Pour lutter contre les lois Pasqua visant à réguler l’immigratio­n, Carte de séjour alla jusqu’à distribuer ce single aux députés à l’Assemblée nationale. Cette chanson fut aussi celle qui ponctua les rassemblem­ents de la campagne présidenti­elle de François Mitterrand en 1988.

En solo à partir de 1989, Taha, qui a grandi avec le punk et le rock, ne cessa d’y rester fidèle, en les infusant de musique orientale, comme avec sa reprise de Rock

the Casbah (2004) de The Clash. Auparavant, il renoua avec le succès avec Voilà, voilà en 1993, un titre fustigeant le retour de la montée des extrêmes dans la Douce France.

«Étranger, tu es la cause de nos problèmes/ Moi je croyais qu’c’était fini/ Mais non, mais non, ce n’était qu’un répit », chantait celui qui conserva sa « carte de séjour » jusqu’à la fin et s’en amusait dans son autobiogra­phie Rock la Casbah (2008) en écrivant « Algérien pour toujours et Français tous les jours ».

Au chaâbi, Rachid Taha donna une exposition hors du monde arabe avec sa reprise en 1997 d’une de ses chansons les plus populaires, Al Rayah, immortalis­ée avant lui par Dahmcane El Harrachi. Un an plus tard, il remplissai­t la salle parisienne de Bercy avec Khaled et Faudel pour le spectacle 1,2,3 soleils.

En 2016, il reçut une Victoire de la musique pour l’ensemble de sa carrière.

Taha fit de Douce France, de Charles Trenet, l’hymne d’une jeunesse française métissée et tolérante

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 ?? ANNIK MH DE CARUFEL ?? Rachid Taha, ici photograph­ié dans le cadre des FrancoFoli­es de Montréal en 2014, était un habitué des scènes québécoise­s.
ANNIK MH DE CARUFEL Rachid Taha, ici photograph­ié dans le cadre des FrancoFoli­es de Montréal en 2014, était un habitué des scènes québécoise­s.

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