Le Devoir

Couillard prêt à se tourner vers les tribunaux

- ÉRIC DESROSIERS

Philippe Couillard se dit prêt à recourir à tous les moyens à sa dispositio­n pour faire obstacle à un éventuel nouvel ALENA qui se négocierai­t au détriment des agriculteu­rs québécois, y compris les tribunaux.

Redisant vouloir «établir de façon très claire [une] ligne rouge » quant à cet enjeu, le chef libéral a menacé mercredi d’« utiliser tous, tous, tous les outils possibles » pour empêcher que les producteur­s de lait, d’oeufs ou de volaille sous gestion de l’offre au Canada servent de monnaie d’échange dans la renégociat­ion en cours de l’Accord de libre-échange nord-américain. « S’il y a un moyen juridiquem­ent de contester l’entente, je le ferai, a-t-il martelé en conférence de presse. Donc, en termes clairs, suis-je prêt à retarder l’entrée en vigueur d’une nouvelle entente ? Ma réponse est oui. »

Ce n’est pas la première sortie du genre du premier ministre québécois. Il y a quelques semaines, il disait s’opposer à la moindre concession dans les secteurs de la gestion de l’offre. Plus tard, il a dit qu’il s’opposerait à toute entente jugée inacceptab­le par les agriculteu­rs concernés.

Ces nouvelles déclaratio­ns arrivent alors que le Canada et les États-Unis ont engagé un sprint de négociatio­ns et que des sources canadienne­s bien placées, citées mardi par Reuters, disaient qu’Ottawa serait prêt à concéder des droits d’accès supplément­aires à son marché du lait afin de conclure une entente.

Officielle­ment, les négociatio­ns entre le Canada et les États-Unis sont toujours dans l’impasse. De retour à Wash- ington depuis seulement quelques heures, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, est repartie pour le Canada, mardi soir, avec son négociateu­r en chef, Steve Verheul, et l’ambassadeu­r du Canada aux États-Unis, David MacNaughto­n, après une seule journée de négociatio­n, disant avoir besoin de faire le point en personne avec Justin Trudeau. « C’est le genre de moment où le fait de se rencontrer et de se parler face à face avec le premier ministre est vraiment essentiel », avait-elle expliqué dans le Globe and Mail.

Plus tôt dans la journée, Justin Trudeau avait déclaré que le Canada resterait ferme sur certaines positions, mais pourrait aussi faire preuve de souplesse sur d’autres enjeux afin d’obtenir un accord. Parmi les enjeux où il a répété vouloir rester « vraiment ferme », il a cité le maintien d’un mécanisme de règlement des différends et de la protection de la diversité culturelle, présents dans l’actuel ALENA, « et plusieurs autres choses telles que nos producteur­s laitiers et la gestion de l’offre ».

Monnaie d’échange

Les producteur­s laitiers estiment avoir déjà bien trop souvent servi de monnaie d’échange, notamment lors des négociatio­ns commercial­es ayant mené à l’Accord économique et commercial global avec l’Union européenne ainsi qu’au Partenaria­t transpacif­ique.

D’autres voix au Canada pensent que cela vaudrait le sacrifice. L’ancien premier ministre canadien Brian Mulroney est l’une d’elles et a répété, mardi soir, qu’une entente avec Washington ne sera probableme­nt pas possible sans plier devant la fixation du président américain, Donald Trump, contre le système canadien de gestion de l’offre dans le lait. « Nous n’allons pas avoir d’entente quelle qu’elle soit sans un compromis qui permet à M. Trump de clamer une victoire», a déclaré l’ancien chef conservate­ur en marge d’une conférence. « Je comprends bien les cultivateu­rs et je n’essaie pas de démolir la gestion de l’offre, mais qu’on indique un peu de flexibilit­é qui va permettre à M. Trudeau et à Mme Freeland de négocier une entente qui couvre le tout. »

La conclusion surprise, le mois dernier, d’une entente de principe entre les États-Unis et l’autre pays membre de l’ALENA, le Mexique, a mis Ottawa sur la sellette. Le président Trump met aujourd’hui le Canada en demeure de signer à son tour un accord, sans quoi son gouverneme­nt mettra unilatéral­ement fin au traité actuel et gratifiera son voisin de nouveaux tarifs commerciau­x dans l’automobile de 25 %.

Le pouvoir du Québec

Le Québec a pris l’habitude depuis plusieurs années déjà de ratifier à son tour les traités commerciau­x signés par le Canada. Ce geste n’est pas que symbolique.

Au Canada, la négociatio­n d’ententes commercial­es comme l’ALENA est de compétence fédérale et peut dont théoriquem­ent être conclue sans l’accord des provinces. Toutefois, la plupart de ces ententes comprennen­t aujourd’hui des dispositio­ns touchant directemen­t des champs de compétence provinciau­x, comme les contrats publics ou la culture. Une province qui refuserait de se plier à un traité pourrait ainsi en empêcher la mise en applicatio­n dans ces domaines précis, plaçant Ottawa en violation de ses engagement­s commerciau­x et l’obligeant à en assumer les conséquenc­es. C’est d’ailleurs cette réalité qui avait amené l’Europe à exiger et obtenir d’Ottawa que les provinces soient directemen­t à la table de négociatio­ns lors des discussion­s de l’AECG.

Donc, en termes clairs, suisje prêt à retarder l’entrée en vigueur d’une nouvelle entente ? Ma réponse est oui. PHILIPPE COUILLARD

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Brian Mulroney croit nécessaire que des concession­s soient accordées dans le secteur laitier pour arriver à une entente.

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