Le Devoir

Avoir moins de 65 ans dans un CHSLD et briser le mur de l’indifféren­ce

- François Marcotte

La vie dans les CHSLD est un sujet trop sérieux pour être laissé aux seuls politicien­s. Je peux vous en parler plus concrèteme­nt. J’ai 45 ans, je suis lourdement handicapé et je vis dans un CHSLD depuis 2015.

J’ai découvert en arrivant ici qu’au Québec, on n’offrait aux résidents des CHSLD qu’un seul bain par semaine. Une pratique inacceptab­le et intolérabl­e à mes yeux. Ça devait changer. Pour moi et pour les autres résidents.

C’est pourquoi j’ai lancé en mai 2016 une campagne de sociofinan­cement pour pouvoir m’offrir des soins mieux adaptés à ma situation. Mon initiative a marqué le début d’une importante couverture médiatique sur l’enjeu du deuxième bain hebdomadai­re dans les CHSLD.

Le ministre Gaétan Barrette a alors martelé qu’on accordait trop d’importance aux bains et aux douches ; l’hygiène pouvait, disait-il, être assurée sans devoir donner un bain. Ce contre quoi j’ai plaidé le bien-être, les effets relaxants (indispensa­bles pour des gens atteints de sclérose en plaques, comme moi) et par-dessus tout, la dignité. Cette dignité qui n’a pas d’âge. Mais sans succès.

Seize mois plus tard, le ministre a finalement annoncé l’octroi de 36 millions de dollars pour augmenter la capacité de soins d’hygiène — comprendre bain/douche — et permettre l’embauche de 600 préposés aux bénéficiai­res. Le ministre a expliqué qu’il avait entendu la population et que l’améliorati­on des budgets rendait maintenant cela réalisable.

Interrogé par la journalist­e Isabelle Porter du Devoir, qui souhaitait savoir si c’est mon appel à l’aide qui avait fait bouger les choses, le ministre a choisi de marginalis­er mon cas: «M. Marcotte devrait être dans un autre environnem­ent à cause de sa condition physique et intellectu­elle. M. Marcotte est quelqu’un comme vous et moi, qui mène une vie normale […] M. Marcotte a une activité réelle, mérite plus qu’un bain par semaine, parce qu’il est dans une autre situation que 95 % de la population dans notre réseau de CHSLD. »

Qu’avait en tête le ministre à ce moment-là lorsqu’il suggérait que je mène une vie normale, comme lui, comme vous ? S’il définissai­t d’abord la normalité en ce qui concerne les besoins fondamenta­ux, notamment se vêtir, communique­r, s’occuper, se divertir, voilà qui suppose que je comble d’autres besoins, tout comme vous. J’ai donc besoin d’acheter des vêtements, de m’abonner à un forfait Internet, de téléphonie et de télévision, d’acheter du café, parce que j’ai besoin de boire du bon café, du vin rouge de temps à autre la fin de semaine, etc. Je passe du temps à l’extérieur des murs avec des amis et ma famille, nous allons au café du coin, au musée, au cinéma, etc.

Je vous épargne la mécanique de calcul visant à déterminer le montant de la contributi­on financière pour l’hébergemen­t dans les CHSLD du réseau public québécois, mais sachez que je reçois une allocation mensuelle de 221 $ de la Régie de l’assurance-maladie du Québec pour combler les besoins que j’ai évoqués.

Or, sans l’aide financière de mes parents, âgés de 75 ans, il serait impossible de voir chaque fin de mois, de garder la tête hors de l’eau.

Tenir compte de la réalité

Dans la même veine, je ne peux taire la situation d’une résidente de 79 ans de mon CHSLD, atteinte de paralysie cérébrale et handicapée, qui doit composer avec une allocation mensuelle d’à peine 200$. Elle vend des canettes pour l’aider à payer ses titres de transport adapté et satisfaire quelques-uns de ses besoins. C’est scandaleux. Elle ne fait pas partie du 5 % âgé de moins de 65 ans. En mérite-t-elle davantage, pour reprendre les mots du ministre ? Assurément.

Les partis politiques doivent s’engager à rehausser le montant de l’allocation mensuelle pour tenir compte de la réalité et des besoins actuels.

Au moment où la Coalition avenir Québec vient de promettre la création à plus ou moins long terme des Maisons des aînés en lieu et place des CHSLD, où le Parti québécois s’est engagé à climatiser les CHSLD existants, à embaucher plus de personnel, que le Parti libéral a promis de créer 1500 places d’hébergemen­t au coût de 500 millions de dollars en plus des 132 millions annuelleme­nt, j’aimerais rappeler que 100 % des résidents des CHSLD nécessiten­t dans l’immédiat, dès le lendemain de l’élection, de meilleurs soins, pour leur hygiène, leur confort et leur dignité.

En première ligne, les préposés aux bénéficiai­res ont besoin de meilleures conditions, de plus de considérat­ion pour leur travail. Cette propositio­n devrait faire l’unanimité des partis politiques. Les CHSLD accueillen­t une clientèle hétérogène, des cas de plus en plus lourds, et le ministère de la Santé sous-estime sciemment le temps accordé aux tâches du quotidien ; les ressources financière­s et humaines sont insuffisan­tes. Je me plais à dire qu’au ministère de la Santé, les budgets font les besoins… On en demande toujours davantage aux préposés, les ratios d’un préposé pour dix, douze résidents sont monnaie courante. Ils sont dépassés par la lourdeur de la tâche, l’épuisement et l’absentéism­e augmentent; c’est l’un des facteurs qui expliquent leur pénurie. Cela affecte aussi la prestation des services et des soins aux résidents.

Le 5 % dont Gaétan Barrette traitait comme une exception ne devrait tout simplement pas se retrouver systématiq­uement dans un CHSLD. Ce sont des gens de moins de 65 ans, parfois handicapés physiqueme­nt comme moi, que le Québec et les politicien­s semblent s’être résignés, dans l’indifféren­ce générale, à faire des aînés avant l’heure.

J’invite donc les partis politiques à s’inspirer de la démarche de LabÉcole, une initiative visant à créer des écoles modèles du XXIe siècle à l’architectu­re innovante, aux espaces intérieurs conviviaux, et à faire de même avec les centres d’hébergemen­t. Non seulement il faut ériger de nouveaux murs, mais il faut faire tomber la discrimina­tion envers les résidents les plus jeunes, victimes de la banalisati­on de leurs besoins.

100 % des résidents des CHSLD nécessiten­t dans l’immédiat, dès le lendemain de l’élection, de meilleurs soins, pour leur hygiène, leur confort et leur dignité

 ?? FRANCIS VACHON LE DEVOIR ?? En mai 2016, l’auteur, qui vit en CHSLD, lançait une campagne de sociofinan­cement pour s’offrir des soins mieux adaptés à sa situation, une initiative qui a marqué le début d’une importante couverture médiatique sur l’enjeu des bains dans les CHSLD.
FRANCIS VACHON LE DEVOIR En mai 2016, l’auteur, qui vit en CHSLD, lançait une campagne de sociofinan­cement pour s’offrir des soins mieux adaptés à sa situation, une initiative qui a marqué le début d’une importante couverture médiatique sur l’enjeu des bains dans les CHSLD.

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