Le Devoir

Ceci n’est pas éphémère

- Jérôme Glad Cofondateu­r, recherche et développem­ent de La Pépinière Espaces collectifs

Tout au long de la période estivale, des listes de « places éphémères » à visiter ont fleuri dans les médias. Alors que le terme «éphémère» semble avoir le vent en poupe, il convient de s’interroger sur sa pertinence pour définir les projets d’espaces publics. Se retrouve catégorisé dans ce concept d’éphémère tout ce qui — au premier regard — semble ne vivre que le temps d’un été. Mais si, comme les ruelles vertes, ces espaces offrent bien des lieux de rencontres et de partage à la visibilité saisonnièr­e, leur qualificat­if d’éphémère reste souvent réducteur quant à leur essence et leur véritable perspectiv­e.

Les ruelles vertes incarnent sûrement l’exemple le plus parlant pour remettre en perspectiv­e le terme « éphémère », qui est aujourd’hui utilisé comme qualificat­if pour de nombreux projets d’espaces publics. Avec raison, les ruelles vertes ne sont pas considérée­s comme des projets éphémères. Bien qu’elles s’activent et se déploient de toute leur verdure et leur vie citoyenne au retour des beaux jours, il s’agit de projets citoyens inscrits dans la durée. Ce sont des espaces structuran­ts emblématiq­ues de la vie en communauté. Les ruelles vertes s’inscrivent dans une perspectiv­e durable, de par la mobilisati­on des riverains et de par son impact à long terme sur le resserreme­nt du tissu social et le sentiment d’appartenan­ce. Elles continuent de vivre dans la communauté, en se déclinant chaque saison à travers la vie de quartier et les liens sociaux tissés. De plus, on voit émerger le concept des ruelles blanches, qui ouvrent la porte à une appropriat­ion également hivernale. Le potentiel est là et ne demande qu’à être exploité.

À l’instar des ruelles vertes, plusieurs initiative­s citoyennes, qui deviennent tangibles au moment de la saison estivale, s’inscrivent en réalité dans des temporalit­és autres qu’éphémères. L’éphémère est un outil pour changer les paradigmes. Il permet d’activer, de révéler des lieux, d’expériment­er l’espace urbain, d’explorer de nouvelles perspectiv­es de la ville, mais il ne constitue pas pour autant la finalité ou ne définit pas l’essence de ces projets. Au même titre, le transitoir­e est un outil, un entre-deux qui crée un espacetemp­s propice à l’expériment­ation de nouveaux modèles, mais ce n’est pas une fin en soi. Il arrive d’ailleurs que les projets permanents aient moins de vie, moins de grain local et communauta­ire que les projets dits éphémères, temporaire­s ou transitoir­es.

La pertinence et la beauté de ces projets ne résident pas dans leur temporalit­é, mais dans leur capacité à humaniser la ville, la rendre plus colorée, plus vibrante et moins minérale. Ils permettent à plus de gens de s’approprier l’environnem­ent urbain, d’avoir un impact sur leur milieu de vie et ainsi de développer un sentiment d’appartenan­ce. Ces processus renforcent le pouvoir d’agir et réaffirmen­t le droit à la ville. Toute la pertinence de ce mouvement est d’apporter une seconde couche à la ville: celle de ses habitants et groupes locaux qui se l’approprien­t, qui s’investisse­nt en donnant de l’amour dans l’espoir de bâtir une ville meilleure, d’être plus riches collective­ment. C’est un mouvement qui a commencé au Québec dans les ruelles vertes, puis les friches, et qui s’étend aujourd’hui aux rues, parcs et places. C’est l’épanouisse­ment de la vie urbaine et l’exposition de notre identité locale singulière.

Et si on ne parlait plus d’espaces éphémères, quel terme utiliserai­ton ? Sans être parfaite, la notion d’espaces collectifs est un terme qui a l’avantage de mettre en avant la dynamique participat­ive et la vie en communauté qui sous-tendent les projets. Au lieu d’axer sur la temporalit­é de l’outil utilisé, il met en lumière le processus participat­if de réappropri­ation de la ville qui porte une vision d’acteurs locaux. En remettant en perspectiv­e la notion de temporalit­é pour définir au premier abord les projets d’espaces publics, la vision urbaine se transporte au coeur de la communauté. En se recentrant sur l’essence des initiative­s, sur leur nature collective, on ramène à la surface du discours le sens et la finalité et on replace les outils de l’éphémère et de la permanence dans la remise explicativ­e. Une manière de souligner que ces espaces s’inscrivent dans un mouvement plus large de ville participat­ive, de renforceme­nt des capacités et d’autonomisa­tion des communauté­s locales.

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