Le Devoir

ACTUALITÉS Trans Mountain : les Autochtone­s déçus des nouveaux délais

Les nations détenant un accord de partage des bénéfices veulent que le projet se fasse

- HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Les communauté­s autochtone­s de l’ouest du pays ne sont pas unanimes à propos de l’oléoduc Trans Mountain. Si plusieurs nations se sont réjouies de la récente décision judiciaire bloquant l’expansion de l’infrastruc­ture pétrolière, d’autres, qui devaient en tirer profit, sont déçues du nouveau délai imposé au projet.

Le tracé de l’oléoduc allant d’Edmonton à Vancouver traverse ou frôle quelque 138 communauté­s autochtone­s. Si plusieurs s’opposent au projet, d’autres au contraire l’appuient. Quarante-trois communauté­s ont signé des ententes avec Kinder Morgan, le promoteur initial du projet, leur garantissa­nt une part des retombées économique­s prévues. Certaines de ces nations sont aujourd’hui frustrées de voir que l’argent, la formation profession­nelle et les emplois promis sont compromis.

« C’est décevant, c’est le moins qu’on puisse dire », lance au Devoir Tom McDonald, le président du conseil d’administra­tion (équivalent d’un chef ) de la communauté Aseniwuche Winewak, située au nord-est du parc national de Jasper. « Ce projet est énorme et représenta­it potentiell­ement d’énormes retombées pour la communauté. Et maintenant, il est remis à plus tard, retardé, et cela signifie que les membres de ma communauté ne travailler­ont pas aujourd’hui ou demain. »

M. McDonald, comme tous les autres chefs des nations ayant signé une entente avec Kinder Morgan, n’a pas le droit d’en révéler le contenu précis. Mais il assure que «la plupart» des 400 membres de la communauté en auraient retiré des bénéfices.

Le mois dernier, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision bloquant l’expansion du pipeline entre l’Alberta et la Colombie-Britanniqu­e au motif que les six nations autochtone­s plaignante­s n’ont pas été consultées de manière significat­ive et que l’évaluation environnem­entale sur laquelle s’appuie l’approbatio­n du projet n’a pas pris en compte son impact sur l’écosystème marin, en particulie­r la population menacée d’épaulards. L’expansion de Trans Mountain multiplier­ait par sept le nombre de navires pétroliers au large de Vancouver.

Le chef Kurt Burnstick, à la tête du conseil de bande de la première nation Alexander, est lui aussi déçu. « Ce n’est pas positif [le jugement], car on aurait pu générer des revenus pour ma nation et des possibilit­és d’emplois pour les gens », dit celui dont la communauté de quelque 2250 habitants est située tout près d’Edmonton. « Ma nation aurait pu en profiter beaucoup. Je peux comprendre l’opposition au pipeline, ce qu’ils pensent, je respecte cela, mais en même temps, ma nation perd. »

Le chef de Seabird Island, une communauté de 1000 personnes située à l’est de Vancouver, n’est pas surpris par la récente décision de la Cour d’appel fédérale. «Je pense qu’ils ont assez consulté, mais certaines personnes pensent que ce n’était pas suffisant», dit Clem Seymour au Devoir. Il reproche aux trois juges de ne pas avoir écouté tout le monde dans ce dossier. « Je ne pense pas que le juge avait une image d’ensemble de la situation. Il n’a écouté que l’un des deux côtés », dit-il en faisant référence aux opposants.

Le chef de Cheam, Ernie Crey, dénonce pour sa part la condescend­ance avec laquelle certains ont critiqué les ententes signées par les communauté­s avec Kinder Morgan. Celle de Cheam prévoit pour la communauté d’environ 550 personnes, sise sur la côte du fleuve Fraser, en Colombie-Britanniqu­e, le versement d’une somme forfaitair­e au début des travaux de constructi­on, puis d’une somme annuelle pour la durée de vie du pipeline, ainsi que de la formation profession­nelle pour les membres de la nation ainsi que des emplois.

« Nous n’avons pas signé cette entente pour devenir dépendants de Kinder Morgan, martèle M. Crey. Nous l’avons fait pour avoir un avenir et améliorer nos perspectiv­es socio-économique­s. Nous sommes des adultes. Nous prendrions les revenus découlant de ces ententes pour investir dans des entreprise­s et des initiative­s dans la communauté qui garantirai­ent potentiell­ement à perpétuité des emplois pour la jeune génération. Nous n’essayons pas de remplacer la dépendance envers les paiements de transfert du gouverneme­nt par une dépendance envers Kinder Morgan. [… ] Nous ne sommes pas des enfants et c’est ce que j’essaye de faire comprendre aux critiques des ententes comme la nôtre, qu’ils soient dans le mouvement environnem­ental ou des gens d’autres communauté­s autochtone­s qui tentent de nous donner des avis. »

M. Crey ne se dit pas surpris de la décision de la Cour d’appel fédérale parce qu’il estimait lui aussi que certaines communauté­s n’avaient pas été assez consultées. Mais il n’en est pas moins déçu. « Je manifeste seulement ma déception. Je ne dis pas que le gouverneme­nt avait raison, mais je dis que je suis déçu qu’il y ait un autre délai à cause d’un enjeu que nous avions identifié plus tôt. »

M. Crey est toutefois optimiste et croit encore possible que les travaux de constructi­on de Trans Mountain débutent au printemps prochain. Il suffirait de reprendre les consultati­ons de manière ciblée avec les six communauté­s à l’origine de la cause.

Tous les chefs interrogés ont indiqué avoir reçu l’assurance que leur entente serait honorée par le gouverneme­nt canadien, qui s’est porté acquéreur du pipeline Trans Mountain. Au total, Le Devoir a tenté de joindre 20 des 43 communauté­s ayant signé de telles ententes, mais seulement 5 ont répondu à nos nombreux appels. Craig Makinaw, le chef de la nation crie Ermineskin (près de 4800 citoyens), a indiqué ne pas savoir encore quel serait l’impact de la décision de la Cour d’appel fédérale.

Ottawa n’a toujours pas indiqué comment il entendait répondre à la décision. Une des options véhiculées en coulisse est qu’un panel d’éminents Canadiens, avec à sa tête l’ancienne ministre Anne McLellan, retourne consulter les six communauté­s. Quant à la protection du milieu marin, le ministre des Pêches et des Océans, Jonathan Wilkinson, a indiqué en entrevue au Globe and Mail que cela pourrait être fait « relativeme­nt promptemen­t » parce que le gouverneme­nt a déjà fait une bonne partie de l’analyse. Le ministre a rappelé que, si le nombre mensuel de navires passait de 5 à 34 à cause du pipeline, cela ne représente­rait quand même que 13,9 % de tout le trafic maritime du secteur, pourcentag­e appelé à diminuer avec l’augmentati­on prévue du trafic des autres bâtiments.

Nous prendrions les revenus découlant de ces ententes pour investir dans des entreprise­s et des initiative­s dans la communauté qui garantirai­ent potentiell­ement à perpétuité des emplois pour la jeune génération. Nous n’essayons pas de remplacer la dépendance envers les paiements de transfert du gouverneme­nt par une dépendance envers Kinder Morgan. ERNIE CREY

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 ?? JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE ?? Un pétrolier au terminal marin du projet Trans Mountain à Burnaby, en Colombie-Britanniqu­e. Le tracé de l’oléoduc allant d’Edmonton à Vancouver traverse ou frôle quelque 138 communauté­s autochtone­s. Si plusieurs s’opposent au projet, d’autres au contraire l’appuient.
JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE Un pétrolier au terminal marin du projet Trans Mountain à Burnaby, en Colombie-Britanniqu­e. Le tracé de l’oléoduc allant d’Edmonton à Vancouver traverse ou frôle quelque 138 communauté­s autochtone­s. Si plusieurs s’opposent au projet, d’autres au contraire l’appuient.

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