Le Devoir

André Forcier et ses fantômes

Jean-Marc E. Roy dévoilait à Québec son documentai­re Des histoires inventées, consacré au cinéaste

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Énorme — ÉNORME — coup de coeur au Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ ) pour le film Des histoires inventées, un documentai­re fort original consacré au non moins unique André Forcier. Au gré de ce qui revêt des allures de leçon de maître ponctuée de confidence­s, Forcier revisite ses films, que le cinéaste Jean-Marc E. Roy recrée ou évoque au présent. Apparaisse­nt les France Castel, Marie Tifo, Céline Bonnier, Michel Côté, Marc Messier, Robin Aubert, David Boutin, Émile Schneider, Geneviève Brouillett­e, Rémi Girard, Sandrine Bisson, Michel Barrette, Juliette Gosselin, Donald Pilon, Roy Dupuis, Louise Marleau, venus (ré-)incarner leurs personnage­s du passé dans le présent, tandis qu’André Forcier commente et se souvient. Défile une succession de clins d’oeil à ses films, présentés dans le désordre, la teneur du propos primant la chronologi­e.

Dès les premières minutes, Forcier affirme ne pas écrire des personnage­s « inactifs », comme on s’est parfois plu à les qualifier. « Ils ne peuvent pas être inactifs, car ils rêvent», précise-t-il. Plus loin, il confie lui-même rêver à ses personnage­s, qu’il appelle «ses fantômes ». Ils constituen­t le fil conducteur du film de Jean-Marc E. Roy.

« Il est la raison pour laquelle je fais du cinéma », explique ce dernier au sujet d’André Forcier.

« Après l’école secondaire, je suis entré au Conservato­ire, où j’ai revu Une histoire inventée. Et là, j’ai soudain compris qu’on pouvait faire du cinéma autrement. Qu’on pouvait avoir une femme qui se promène avec quarante hommes qui la suivent sans qu’on se pose de questions. Ç’a été pour moi une véritable révélation. »

À tel point que Jean-Marc E. Roy bifurqua en études cinématogr­aphiques, revenant inlassable­ment à la filmograph­ie de Forcier dès lors qu’un travail, une analyse, lui était réclamé.

Le bon filon

En 2006, il put rencontrer son idole, avec qui il noua une amitié spontanée. L’idée du documentai­re commença à germer vers 2012.

«Je me suis dit qu’il devenait urgent qu’une production officielle lui soit consacrée. Ces années-ci, ses films redevienne­nt disponible­s, mais, à l’époque, c’était compliqué de les voir. Mais il ne s’agissait pas juste de faire un documentai­re : je devais trouver le bon filon. »

De son propre aveu, Jean-Marc E. Roy voulait à tout prix éviter une impression de « show de chaises » ou de têtes parlantes.

« Ce que j’aime chez Forcier, entre autres, ce sont ses personnage­s plus grands que nature. La manière dont il les construit. Et je me suis demandé ce qui arriverait si ses personnage­s existaient vraiment, existaient toujours, et que Forcier les revisitait, en quelque sorte […] Ç’a représenté un énorme défi financier, car c’est une production documentai­re tournée comme un film de fiction, mais avec un budget de court métrage. Par exemple, je ne pouvais pas faire parler les comédiens dans leurs rôles ; je n’en avais pas les moyens. »

Or, cette contrainte crée un effet insolite dont bénéficie le film, les personnage­s, pourtant campés «ici et maintenant », revêtent une allure décalée et, oui, fantomatiq­ue, en phase avec les confidence­s de Forcier.

Confidence­s qui tiennent lieu de narration, relève Jean-Marc E., qui poursuit avoir en outre cherché à humaniser Forcier.

« C’est quelqu’un qu’on imagine fâché, alors que non. Je désirais l’entendre sur la constructi­on de ses personnage­s, sur ses thématique­s de prédilecti­on… C’est plus une “master class” qu’une bio du genre : “Il est né dans Villeray en 1947…”. »

Quant aux comédiens approchés, ils ont accepté d’emblée.

« Ils l’ont fait pour lui. En amont de la production, il m’était arrivé de rencontrer certains d’entre eux et de leur glisser un mot sur mon projet, et tous me répondaien­t qu’ils participer­aient avec plaisir ; que pour Forcier, ils feraient n’importe quoi. »

Ce n’était pas des paroles en l’air, qu’il s’agisse de comédiens abonnés à ses génériques ou n’ayant tourné avec lui qu’une seule fois. Voilà qui dut être inspirant pour Jean-Marc E. Roy : constater une telle fidélité, un tel engouement.

«Il exerce un pouvoir d’attraction énorme. Son univers plaît aux acteurs… Il y a aussi, certaineme­nt, le plaisir de jouer des personnage­s qui sont, comme je le disais, plus grands que nature. » Produit en bonne partie pendant qu’André Forcier tournait son beau Embrasse-moi comme tu m’aimes, Des histoires inventées s’avère à terme un hommage dont la forme sied merveilleu­sement au sujet.

D’une suite de réflexions intimes naît un portrait plus révélateur que ce qu’une approche biographiq­ue traditionn­elle aurait pu accomplir.

C’est là, sans doute, le plus bel hommage que l’élève pouvait rendre à son maître. Car en définitive, s’il est une chose que l’oeuvre de Forcier n’est pas, c’est bien cela : traditionn­elle.

Des histoires inventées sera à nouveau projeté le 20 septembre et prendra l’affiche au printemps 2019.

François Lévesque est à Québec à l’invitation du FCVQ.

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LA BOÎTE DE PICKUP Le cinéaste André Forcier

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