Le Devoir

Les pays riches ne sont pas épargnés par les changement­s climatique­s

- Chiara Liguori Conseillèr­e politique en matière d’environnem­ent et de droits de la personne à Amnistie internatio­nale

Il aura fallu que des centaines de personnes meurent des suites de la vague de chaleur dans l’hémisphère nord pour que les changement­s climatique­s fassent la une de la presse internatio­nale. Au Japon, au moins 80 personnes sont mortes et des centaines d’autres ont été hospitalis­ées en raison des chaleurs, tandis que les températur­es étouffante­s au Canada ont fait environ 90 victimes. Les incendies dus à la sécheresse et à la chaleur extrême ont également été meurtriers, tuant 91 personnes rien qu’en Grèce. Des images terrifiant­es d’une ville côtière près d’Athènes montraient des voitures carbonisée­s, alignées le long des routes, abandonnée­s par leurs conducteur­s qui s’étaient jetés à la mer.

Ce n’est pas la première fois que les changement­s climatique­s ôtent des vies — et ce ne sera pas la dernière. Au Bangladesh, des centaines de personnes périssent chaque année dans des inondation­s qui deviendron­t de plus en plus fréquentes et importante­s avec la montée du niveau des eaux et la fonte des glaciers de l’Himalaya. Des personnes meurent tous les jours de la famine, de la malnutriti­on et de maladies transmises par l’eau en Afrique subsaharie­nne, les changement­s climatique­s intensifia­nt les sécheresse­s d’un bout à l’autre de la région.

Pourtant, si vous tapez sur Internet les mots « morts, Afrique, changement­s climatique­s», les premiers résultats qui s’affichent sont des articles sur la disparitio­n des baobabs. Pendant trop longtemps, les pays riches ont estimé que ce n’était pas la peine de lutter contre les conséquenc­es humaines des changement­s climatique­s dans les pays plus chauds et plus pauvres.

Demander des comptes

Il est urgent de mettre les êtres humains et les droits de la personne au coeur des discussion­s sur le dérèglemen­t climatique. Pour Amnistie internatio­nale et d’autres organisati­ons de défense des droits de la personne, cela veut dire qu’il faut demander des comptes aux États qui ne font rien contre les changement­s climatique­s, comme nous le faisons avec ceux qui ne respectent pas les droits de la personne.

La responsabi­lité des gouverneme­nts dans les changement­s climatique­s est définie par l’Accord de Paris, adopté en 2015 pour limiter l’augmentati­on des températur­es mondiales bien en deçà de 2 °C. Par ailleurs, les gouverneme­nts ont aussi des obligation­s en matière de droits de la personne. En d’autres termes, ceux qui ne prennent pas toutes les mesures possibles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et aider les population­s affectées à s’adapter aux changement­s climatique­s violent le droit internatio­nal relatif aux droits de la personne.

Ainsi, bien que le président Donald Trump ait retiré son pays de l’Accord de Paris, les États-Unis sont toujours tenus, en vertu de leurs obligation­s internatio­nales, de protéger les droits de la personne, menacés par les changement­s climatique­s, comme le droit à la vie, à l’eau et à l’assainisse­ment, à la nourriture, à la santé et au logement. Pour respecter ces obligation­s, les États doivent, à tout le moins, renoncer à extraire, à produire et à exporter des combustibl­es fossiles, à réduire progressiv­ement les subvention­s à ces industries et à investir dans les énergies renouvelab­les.

La protection des droits de la personne et la protection de la planète sont deux combats indissocia­bles. Les changement­s climatique­s vont creuser encore davantage les inégalités, et ceux qui sont déjà les plus marginalis­és souffriron­t le plus de l’amenuiseme­nt des ressources. Par exemple, les femmes qui vivent en milieu rural, et qui constituen­t la majorité des petits agriculteu­rs indépendan­ts, seront les plus touchées par les chocs climatique­s comme les sécheresse­s, les inondation­s et l’appauvriss­ement des récoltes, en raison des inégalités de genre et de pouvoir. De plus en plus de personnes seront contrainte­s de quitter leur foyer devenu inhabitabl­e, non sans être exposées à tous les risques qu’entraînent de tels déplacemen­ts. De nombreux pays prospères ont fermé leurs portes aux réfugiés ces dernières années ; nous ne pouvons attendre d’eux qu’ils agissent avec sagesse et humanité alors que le nombre de personnes déplacées ne fait qu’augmenter en raison du dérèglemen­t climatique.

Les inégalités entre les pays vont également s’aggraver, et les changement­s climatique­s menacent de défaire de nombreuses victoires remportées pour les droits de la personne au XXe siècle. D’anciennes colonies comme le Bangladesh, Haïti et les Philippine­s devraient faire partie des pays les plus touchés par les bouleverse­ments climatique­s. Ces pays, appauvris notamment par des années de régime colonial, sont moins à même de s’adapter aux catastroph­es climatique­s et d’y faire face, alors qu’ils ont pourtant largement moins contribué à cette situation que les pays plus riches de l’hémisphère nord. Les luttes pour l’indépendan­ce, largement emblématiq­ues du siècle dernier, n’auront pratiqueme­nt plus aucun sens pour ces anciennes colonies si une partie de leur territoire devient inhabitabl­e. Ainsi, l’élévation du niveau des eaux et la désertific­ation menacent de balayer l’histoire tout autant que les habitats.

Préserver les entreprise­s ?

Voilà ce que les gouverneme­nts sont prêts à mettre en danger pour préserver les intérêts de certaines entreprise­s et éviter d’investir des sommes relativeme­nt dérisoires (environ 1 % du PIB mondial par an) qui pourraient pourtant permettre de réduire considérab­lement les émissions de carbone, de prévenir des pertes catastroph­iques et d’empêcher des dépenses encore plus élevées par la suite. L’ensemble des engagement­s pris par les gouverneme­nts dans le cadre de l’Accord de Paris entraînera­it toujours une hausse des températur­es mondiales de trois à quatre degrés Celsius.

Amnistie internatio­nale travaille depuis des années aux côtés de communauté­s touchées par des catastroph­es environnem­entales causées par des entreprise­s, comme la fuite de gaz de Bhopal ou les déversemen­ts d’hydrocarbu­res dans le delta du Niger. Ces catastroph­es frappent souvent des communauté­s pauvres ou rurales, et depuis trop longtemps des entreprise­s sans scrupule et des gouverneme­nts complaisan­ts agissent en pensant passer inaperçus. Cette vague de chaleur dévastatri­ce a montré de plus en plus clairement aux gouverneme­nts du monde entier que personne, y compris leur électorat, ne sera épargné par les conséquenc­es des changement­s climatique­s et des dégradatio­ns environnem­entales. Maintenant que les dirigeants mondiaux sceptiques et indifféren­ts se trouvent face aux coûts humains meurtriers des changement­s climatique­s, va-t-on enfin assister à

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MARIO TAMA / GETTY IMAGES / AGENCE FRANCEPRES­SE Les feux de forêt de l’été 2018 en Californie ont fait une dizaine de morts et entraîné l’évacuation de plus de 40 000 personnes.

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