Détruire les Ouïghours
Le déclin de la démocratie, c’est aussi l’arrogante montée en puissance d’un régime comme celui de Xi Jinping, et ses victoires contre les rébellions qui donnent l’exemple. Le monde entier — hormis un Donald Trump livrant une guerre commerciale probablement perdue d’avance — mange dans la main des dirigeants chinois. Il devient aveugle et muet face à la spectaculaire poussée néototalitaire de Pékin, aveugle aux atrocités commises contre les minorités.
Il y a quand même quelques exceptions… La semaine dernière, la nouvelle commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a demandé à Pékin d’autoriser l’envoi d’une commission d’enquête de l’ONU au Xinjiang, pour enquêter sur le sort de la minorité ouïghoure.
Bien entendu, les Chinois l’ont envoyée paître. Dans un communiqué diffusé à Pékin il y a six jours, on peut lire que « la Chine exhorte Mme Bachelet […] à respecter la mission et les principes de la charte de l’ONU, à respecter la souveraineté de la Chine, et surtout à ne pas écouter les informations partiales ».
C’est l’invocation habituelle de la souveraineté, principe cardinal de la « ligne chinoise » : la répression à l’interne ne doit pas être soumise à l’attention ou à des règles venues de l’étranger. Message repris aujourd’hui à l’identique à Moscou, au Caire, à Ankara ou à Damas… et un peu partout en Afrique, en Asie.
Quant aux « informations partiales », ce sont celles des rapports alarmants qui se multiplient sur l’ampleur de la répression au Tibet et au Xinjiang, où se déroulent de véritables génocides culturels et linguistiques.
Sur la carte de la Chine, le Xinjiang partage avec le Tibet le vaste territoire du « Far West » chinois, un titre (vidé de son contenu) de « région autonome », ainsi qu’une longue histoire d’oppression et de résistance.
Les Ouïghours, turcophones musulmans, sont là depuis des siècles et n’ont pas toujours vécu sous le joug chinois. Ils viennent de passer sous la barre des 50 % sur leur propre territoire.
Leur lutte a longtemps été identitaire, pacifique et pro-libertés — incarnée par exemple par l’universitaire autonomiste et modéré Ilham Tohti, emprisonné en 2014 à la suite d’une parodie de procès.
Aujourd’hui, ce qu’il reste de résistance a régressé dans le djihadisme, les attentats (place Tiananmen en 2013, et à Kunming en 2014). Il y a aujourd’hui une dimension islamiste à cette révolte qui, au fil des répressions des éléments modérés et pacifiques, s’est vue renforcée… justifiant de façon opportune la main toujours plus lourde de Pékin (alSissi en Égypte et al-Assad en Syrie connaissent le truc !).
Un point de bascule fut l’année 2009, lorsque, à Urumqi, la capitale, un soulèvement de 24 heures a été écrasé dans le sang, faisant au moins 200 morts. Soulèvement imputé par Pékin à des « séparatistes » (accusation ancienne) et à des « terroristes islamistes » (accusation alors nouvelle).
Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir (2013), la répression et la surveillance ont explosé. Des rafles à grande échelle ont envoyé des centaines de milliers d’individus en prison ou dans des centres d’« éducation politique », souvent au motif d’avoir séjourné à l’étranger, d’avoir lu des publications d’opposition, d’avoir demandé un peu d’oxygène ou d’autonomie culturelle.
Des camps de rééducation gigantesques — une agence de l’ONU a parlé d’un million de prisonniers — et le quadrillage systématique d’une population de 11 millions de personnes devenue minoritaire chez elle (du fait d’une immigration massive conçue pour la « noyer ») sont décrits par l’ONG Human Rights Watch dans un stupéfiant rapport publié il y a une semaine, intitulé L’éradication des virus idéologiques.
C’est au Xinjiang que sont perfectionnés, en 2018, les instruments de pointe du néototalitarisme chinois, avec des instruments de contrôle et de surveillance omniprésents, ultramodernes — caméras par centaines de milliers, postes de contrôle partout, instruments de reconnaissance faciale, etc. De puissants ordinateurs recoupent les données et permettent de mettre en coupe réglée une population entière.
Une ingénierie sociale postmoderne et hypertechnologique, la société de surveillance et de contrôle parfaite, que même Orwell ou Mao n’auraient pu imaginer.