Le Devoir

Détruire les Ouïghours

- FRANÇOIS BROUSSEAU François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Ici Radio-Canada.

Le déclin de la démocratie, c’est aussi l’arrogante montée en puissance d’un régime comme celui de Xi Jinping, et ses victoires contre les rébellions qui donnent l’exemple. Le monde entier — hormis un Donald Trump livrant une guerre commercial­e probableme­nt perdue d’avance — mange dans la main des dirigeants chinois. Il devient aveugle et muet face à la spectacula­ire poussée néototalit­aire de Pékin, aveugle aux atrocités commises contre les minorités.

Il y a quand même quelques exceptions… La semaine dernière, la nouvelle commissair­e de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a demandé à Pékin d’autoriser l’envoi d’une commission d’enquête de l’ONU au Xinjiang, pour enquêter sur le sort de la minorité ouïghoure.

Bien entendu, les Chinois l’ont envoyée paître. Dans un communiqué diffusé à Pékin il y a six jours, on peut lire que « la Chine exhorte Mme Bachelet […] à respecter la mission et les principes de la charte de l’ONU, à respecter la souveraine­té de la Chine, et surtout à ne pas écouter les informatio­ns partiales ».

C’est l’invocation habituelle de la souveraine­té, principe cardinal de la « ligne chinoise » : la répression à l’interne ne doit pas être soumise à l’attention ou à des règles venues de l’étranger. Message repris aujourd’hui à l’identique à Moscou, au Caire, à Ankara ou à Damas… et un peu partout en Afrique, en Asie.

Quant aux « informatio­ns partiales », ce sont celles des rapports alarmants qui se multiplien­t sur l’ampleur de la répression au Tibet et au Xinjiang, où se déroulent de véritables génocides culturels et linguistiq­ues.

Sur la carte de la Chine, le Xinjiang partage avec le Tibet le vaste territoire du « Far West » chinois, un titre (vidé de son contenu) de « région autonome », ainsi qu’une longue histoire d’oppression et de résistance.

Les Ouïghours, turcophone­s musulmans, sont là depuis des siècles et n’ont pas toujours vécu sous le joug chinois. Ils viennent de passer sous la barre des 50 % sur leur propre territoire.

Leur lutte a longtemps été identitair­e, pacifique et pro-libertés — incarnée par exemple par l’universita­ire autonomist­e et modéré Ilham Tohti, emprisonné en 2014 à la suite d’une parodie de procès.

Aujourd’hui, ce qu’il reste de résistance a régressé dans le djihadisme, les attentats (place Tiananmen en 2013, et à Kunming en 2014). Il y a aujourd’hui une dimension islamiste à cette révolte qui, au fil des répression­s des éléments modérés et pacifiques, s’est vue renforcée… justifiant de façon opportune la main toujours plus lourde de Pékin (alSissi en Égypte et al-Assad en Syrie connaissen­t le truc !).

Un point de bascule fut l’année 2009, lorsque, à Urumqi, la capitale, un soulèvemen­t de 24 heures a été écrasé dans le sang, faisant au moins 200 morts. Soulèvemen­t imputé par Pékin à des « séparatist­es » (accusation ancienne) et à des « terroriste­s islamistes » (accusation alors nouvelle).

Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir (2013), la répression et la surveillan­ce ont explosé. Des rafles à grande échelle ont envoyé des centaines de milliers d’individus en prison ou dans des centres d’« éducation politique », souvent au motif d’avoir séjourné à l’étranger, d’avoir lu des publicatio­ns d’opposition, d’avoir demandé un peu d’oxygène ou d’autonomie culturelle.

Des camps de rééducatio­n gigantesqu­es — une agence de l’ONU a parlé d’un million de prisonnier­s — et le quadrillag­e systématiq­ue d’une population de 11 millions de personnes devenue minoritair­e chez elle (du fait d’une immigratio­n massive conçue pour la « noyer ») sont décrits par l’ONG Human Rights Watch dans un stupéfiant rapport publié il y a une semaine, intitulé L’éradicatio­n des virus idéologiqu­es.

C’est au Xinjiang que sont perfection­nés, en 2018, les instrument­s de pointe du néototalit­arisme chinois, avec des instrument­s de contrôle et de surveillan­ce omniprésen­ts, ultramoder­nes — caméras par centaines de milliers, postes de contrôle partout, instrument­s de reconnaiss­ance faciale, etc. De puissants ordinateur­s recoupent les données et permettent de mettre en coupe réglée une population entière.

Une ingénierie sociale postmodern­e et hypertechn­ologique, la société de surveillan­ce et de contrôle parfaite, que même Orwell ou Mao n’auraient pu imaginer.

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