Le Devoir

Frédérick Gravel prend la direction de Daniel Léveillé Danse

Daniel Léveillé passe les rênes de sa compagnie après 27 ans, afin de pérenniser la structure

- CATHERINE LALONDE

Le chorégraph­e Frédérick Gravel (Usually Beauty Fails, Logique du pire) devient directeur artistique de Daniel Léveillé Danse, a appris Le Devoir. Vingt-sept ans après avoir fondé sa compagnie, le chorégraph­e Daniel Léveillé (Quatuor tristesse, La pudeur des icebergs) se retire, à 65 ans, et passe les rênes, pour pérenniser la structure — une des rares « moyennes compagnies de danse » qui restent, qui sert aussi de tremplin pour la tournée internatio­nale à quelques artistes québécois contempora­ins.

Une compagnie ? « C’est d’abord un conseil d’administra­tion solide, et ça prend des années à établir », illustre Daniel Léveillé. C’est, ici, une directrice générale — Marie-Andrée Gougeon — et quatre personnes à temps plein, deux à trois à temps partiel. Et toute une équipe d’agents de tournée. « On est, je m’amuse souvent à le dire, la plus grosse des petites compagnies de danse du Québec. » L’auteur de la trilogie Anatomie de l’imperfecti­on tient à détailler ainsi le fonctionne­ment interne pour contrer les clichés qu’il voit désormais saillir autour de l’idée même de « compagnie de danse ».

Peut-être parce que « la nouvelle norme est beaucoup plus déstructur­ée », remarque Frédérick Gravel, « avec certains résultats pervers, dont une dévalorisa­tion des structures. Je suis bien placé pour en parler, pour dire à quel point Daniel Léveillé Danse [qui devient dans la foulée DLD] a été utile à ma carrière » de chorégraph­e indépendan­t.

La douce ironie, c’est que M. Gravel fait partie de ceux qui ont pleinement embrassé la déstructur­ation du milieu de la danse, la trajectoir­e hors de l’incorporat­ion. Il a cherché, créé ou intégré des plateforme­s collective­s, comme La 2e porte à gauche et son Cabaret Gravel. « J’ai réussi à tourner et à exister ailleurs qu’à Montréal en grande partie grâce à DLD. La compagnie est super pour les artistes parrainés : on peut un moment arrêter de tout gérer tout seul. »

Depuis 2006, DLD soutient certaines oeuvres d’artistes — pas le portfolio complet — pour les porter à travers le réseau développé dans le reste du Canada et à l’internatio­nal. M. Gravel était de l’écurie depuis 2010. Une écurie que Dana Michel vient de quitter, et qui compte actuelleme­nt Catherine Gaudet, Manu Roque, Nicolas Cantin, Étienne Lepage et Stéphane Gladyszews­ki. Peut-être qu’un peu plus tard, quand il sera prêt à « se remettre le bras dans le tordeur de la création » et à accepter de voir deux à cinq ans défiler pour pondre et porter une oeuvre, Daniel Léveillé en sera-t-il aussi.

Et la passation ? « Ça veut dire qu’on passe d’un directeur artistique à un autre. Rien d’autre ne change », affirme M. Léveillé. « Frédérick n’hérite pas de la compagnie, mais d’une fonction. Il a des tâches à accomplir, et, donnant-donnant, il en retire certains bénéfices : pour un certain temps, il est assuré d’une certaine régularité financière au fonctionne­ment. »

Expertise de tournée

Cette passation a pourtant été ardue à faire accepter, et M. Léveillé a dû considérer l’idée de mettre la clé sous la porte. « Les trois paliers de gouverneme­nts [municipal, provincial, fédéral] nous ont soutenus, mais il y a eu résistance de la part des jurys de pairs. » Pourquoi ? « Je crois que c’est par une idée naïve que si on ferme une compagnie, l’argent va ruisseler sur les chorégraph­es indépendan­ts. Une idée qui se défend encore moins maintenant que les enveloppes ne sont plus définies par discipline. Si on fermait la compagnie, les fonds pourraient revenir au cirque ou au théâtre. DLD a développé au fil des années, par son profil, une expertise en tournée qu’à peu près personne d’autre ne possède au Québec. Si ça tombait, il y aurait un trou. Ça ne profite pas juste à mon travail — je fais entre un quart et un tiers des spectacles. Bon an mal an, on fait entre 100 et 125 représenta­tions par année [y compris celles des artistes parrainés], et les trois quarts à l’internatio­nal. »

M. Gravel, 39 ans, renchérit: «C’est normal et sain qu’on remette ça en question dans le milieu. Mais faire une transition, c’est laisser de la place au flou. Daniel et moi, on est en train d’apprendre ce que ça veut dire.» Il poursuit: « J’ai réussi à tourner et à exister ailleurs qu’à Montréal en grande partie grâce à DLD. Si je démarrais une compagnie demain parce que DLD ferme ses portes, je voudrais absolument que cette idée des parrainage­s existe, et j’aurais envie d’engager tout le monde qui travaille au bureau », explique celui qui a d’abord résisté à l’offre de devenir directeur artistique. « Alors ce mandat est significat­if pour moi. Ma situation fait aussi partie de l’équation de cette passation. »

Frédérick Gravel devient ainsi figure de proue et image médiatique de DLD. Il perd de l’indépendan­ce, illustre-t-il, et gagne de la stabilité et de la mobilité. Il pourra poursuivre là sa prochaine création, une forme plus réduite après l’aventure Some Hope for the Bastards (grand plateau, neuf danseurs, un orchestre de trois musiciens), un faux solo soutenu par un groupe musical.

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CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR Frédérick Gravel (à gauche) devient figure de proue et image médiatique de DLD. Cette passation a été ardue à faire accepter, et Daniel Léveillé (à droite) a dû considérer l’idée de mettre la clé sous la porte.
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DENIS FARLEY Une scène de Quatuor tristesse, un spectace de Daniel Léveillé

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