Le Devoir

Le détour par Ottawa

- MICHEL DAVID

Ce n’est pas d’hier que le Parti Québécois dénonce « l’injustice structurel­le » dont le Québec est victime au sein de la fédération canadienne, à laquelle il ne pourrait échapper qu’en devenant un État souverain. C’était un des thèmes favoris de Bernard Landry, qui pestait régulièrem­ent contre la ligne Borden, qui avait imposé Sarnia comme centre de l’industrie pétrochimi­que au détriment de Montréal, la canalisati­on du Saint-Laurent et la concentrat­ion des centres de recherche fédéraux du côté ontarien de l’Outaouais.

Si le Québec était le principal bénéficiai­re de la péréquatio­n, c’était précisémen­t qu’il avait été privé des investisse­ments structuran­ts qui ont fait la prospérité de l’Ontario, en retour d’une péréquatio­n qui ressemblai­t à une allocation d’aide sociale dont le montant était sans cesse remis en question.

Lors de sa visite surprise à Ottawa dimanche, Jean-François Lisée a actualisé la liste de griefs de M. Landry, y ajoutant les 100 milliards destinés au renouvelle­ment de la flotte canadienne, qui profiteron­t essentiell­ement aux chantiers maritimes de Vancouver et de St. John’s, de même que l’aide massive apportée à l’industrie automobile en Ontario et à l’exploitati­on des sables bitumineux, sans commune mesure avec ce qui a été accordé à l’industrie forestière.

Pour obtenir sa juste part des dépenses fédérales, le chef du PQ a évalué que le Québec devrait recevoir 2,6 milliards de plus par année, sans compter les 20 milliards de contrats auxquels aurait droit le chantier maritime de la Davie, qui devra se contenter de miettes.

Le premier ministre Couillard semble plutôt voir le retard économique du Québec comme l’inéluctabl­e destin d’un peuple né pour un petit pain, n’ayant rien à voir avec des politiques qui lui auraient été défavorabl­es. À l’entendre, la péréquatio­n serait le fruit d’une générosité dont il faudrait être reconnaiss­ant au reste du Canada, comme il faudrait lui savoir gré de nous avoir imposé une Charte des droits afin de nous protéger de nous-mêmes.

François Legault déplore que le Québec touche autant de péréquatio­n — 11,7 milliards en 2018-2019 —, mais il y voit plutôt la démonstrat­ion de l’incapacité des libéraux à développer une économie capable de créer des emplois aussi bien rémunérés qu’en Ontario, plutôt que le résultat de décisions prises à Ottawa qui auraient systématiq­uement défavorisé le Québec.

Bien entendu, le chef de la CAQ voyait les choses d’un autre oeil à l’époque où il rédigeait son rapport sur les finances d’un Québec souverain. C’était plutôt la baisse de la péréquatio­n et du transfert canadien en santé qui l’inquiétait et justifiait à ses yeux la nécessité de l’indépendan­ce.

Depuis qu’il a découvert les bienfaits du fédéralism­e et la fierté d’être Canadien, il n’est plus question de « dissiper les vieilles peurs sur la précarité économique d’un Québec souverain » ni de « remettre en question les arguments à propos de la soi-disant rentabilit­é du fédéralism­e », comme il prétendait jadis le faire. Il est plus commode de blâmer le gouverneme­nt Couillard.

La visite de Jean-François Lisée à Ottawa avait valeur de symbole. Il a expliqué s’y être rendu pour « donner un préavis » au gouverneme­nt fédéral, comme les chevaliers d’antan jetaient le gant pour défier un adversaire. S’il n’est pas question de laisser la CAQ s’ériger en champion de la défense des intérêts du Québec, se déplacer dans la capitale envoie toutefois le signal que la lutte peut être menée de l’intérieur, comme le soutient maintenant M. Legault.

Certes, le PQ demeure un parti souveraini­ste, mais le report du référendum ne lui laisse pas d’autre choix que d’inscrire son action dans le cadre fédéral, au moins pour un temps, et d’essayer de rendre le Canada plus acceptable au Québec. Depuis le début de la campagne, il est difficile d’accuser M. Lisée de chercher la chicane avec Ottawa. Pas suffisamme­nt, estiment certains.

Même sur la délicate question de l’immigratio­n, M. Lisée a dit croire que le gouverneme­nt fédéral ferait preuve d’ouverture. « La flexibilit­é politique existe. Elle a été la règle jusqu’à maintenant. Je compte que cela continuera à être la règle tout simplement », a-t-il déclaré. Entendre un chef du PQ reconnaîtr­e la flexibilit­é d’Ottawa est certaineme­nt à marquer d’une pierre blanche.

Une victoire de la CAQ placerait néanmoins le PQ dans une position délicate. Même si les propositio­ns en matière d’immigratio­n de M. Legault lui paraissent inacceptab­les, on voit mal comment le PQ pourrait refuser d’appuyer un gouverneme­nt qui réclamerai­t des pouvoirs supplément­aires dans ce domaine.

LIRE AUSSI EN PAGE B 2 : « DES CANDIDATES AU SECOURS DES BIBLIOTHÈQ­UES SCOLAIRES ». LES QUATRE PRINCIPAUX PARTIS ONT ÉTÉ QUESTIONNÉ­S PAR DES ACTEURS DU MILIEU DU LIVRE QUÉBÉCOIS.

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