Le Devoir

L’Institut du Québec remet les pendules à l’heure

Certains politicien­s confondent des chiffres ou ne les mettent pas en contexte

- LISA-MARIE GERVAIS

En voyant à quel point c’est devenu important dans les élections, surtout la question des seuils migratoire­s et la rétention, […] on a senti que notre mission était de sortir rapidement. Je ne suis pas certaine des chiffres que [les chefs de partis] utilisent. Je vois aussi qu’ils essaient d’en éviter certains… ce n’est pas toujours clair.

P arce que plusieurs données sur l’immigratio­n sont semées à tort et à travers en cette campagne électorale, l’Institut du Québec (IdQ) a cru bon de remettre les pendules à l’heure en publiant une « mise à jour » pour clarifier certaines informatio­ns. Car si certains politicien­s confondent encore des statistiqu­es, d’autres ne prennent pas le soin de les mettre en contexte.

L’IdQ travaille sur les thèmes de l’intégratio­n des immigrants au marché du travail depuis un certain temps, mais a senti une certaine urgence à préciser certaines données. « En voyant à quel point c’est devenu important dans les élections, surtout la question des seuils migratoire­s et la rétention, […] on a senti que notre mission était de sortir rapidement », a dit Mia Homsy, directrice de l’IdQ, auquel s’associent le Conference Board du Canada et HEC Montréal. « Je ne suis pas certaine des chiffres que [les chefs de partis] utilisent. Je vois aussi qu’ils essaient d’en éviter certains… ce n’est pas toujours clair. »

Le taux de rétention

Mme Homsy invite à ne pas confondre «solde migratoire net», qui est la somme de la migration internatio­nale (entrées et sorties) et de la migration interprovi­nciale (entrées et sorties) qu’on soit immigrant ou natif, et taux de rétention, qui mesure le nombre d’immigrants encore au Québec plusieurs années après leur arrivée. Ce que pourrait avoir fait le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, qui se plaît à répéter que, des 50 000 immigrants qu’il accueille, le Québec en perd 13 000. Parle-t-il du solde migratoire net qui est de 12 600 ?

M. Legault pourrait avoir plutôt fait allusion aux 26 % d’immigrants qui ont quitté le Québec, mais, dans ce cas, il omet de préciser que c’est entre 2006 et 2015 (soit sur 9 ans). Ce qu’il ne dit pas non plus, c’est que ces chiffres sont du ministère de l’Immigratio­n et se basent sur les renouvelle­ments de la carte d’assurance maladie, qui ne tiennent pas compte des décès et des non-renouvelle­ments volontaire­s.

Les chiffres publiés par l’Institut du Québec, qui se basent sur les déclaratio­ns de revenus, ont une connotatio­n beaucoup plus positive : seulement 18 % des immigrants arrivés entre 2005 et 2015 auraient quitté la province. Et le Québec se classe 4e au Canada pour son taux de rétention. « J’avais en tête que c’était catastroph­ique, mais on n’est quand même pas si loin de l’Ontario », a déclaré Mme Homsy. Selon le rapport, le taux de rétention sur cinq ans est encore plus encouragea­nt, soit 84,3%, et il constituer­ait une nette améliorati­on par rapport à il y a 15 ans. Peu de francophon­es

Le chef de la CAQ et celui du Parti québécois, Jean-François Lisée, ont aussi répété que trop peu d’immigrants (42 %) parlent français à leur arrivée au Québec. Or, ils omettent souvent de préciser que cette donnée est pour 2017 seulement, année où le Québec a reçu beaucoup de réfugiés. En 2016, 48 % des personnes qui arrivaient ici parlaient le français, et en 2015, 56 %.

Brahim Boudarbat, professeur à l’École des relations industriel­les de l’Université de Montréal, fait remarquer que, pour avoir l’heure juste, il faudrait uniquement s’intéresser à la catégorie des immigrants économique­s, car ce sont eux qui sont sélectionn­és avec, notamment, le critère de la langue française. Et là, toutefois, les politicien­s n’auraient pas tort de s’alarmer sur la proportion d’immigrants francophon­es, qui sont en diminution constante depuis ces dernières années, passant de 67% en 2012 à 53 % en 2016. « Ça, c’est un problème, puisqu’on voit que ça baisse », dit-il. Le ministère de l’Immigratio­n a reconnu qu’elle avait admis un plus grand nombre de personnes déclarant uniquement connaître l’anglais, notamment parce que l’adéquation entre les besoins du Québec dans certains secteurs d’emploi et les compétence­s des travailleu­rs migrants était devenue plus importante que le seul critère de la langue.

Seuils et chômage

M. Boudarbat fait remarquer que les partis parlent peu de régionalis­ation, mais débattent beaucoup des seuils d’immigratio­n. « On s’attendrait à ce que les libéraux, qui ont un discours de pénurie de main-d’oeuvre, parlent d’augmenter les seuils, mais ils ne le font pas. Moi, j’interprète ça comme une réduction », indique le professeur. « Dans sa tête, [le chef Philippe Couillard] pense sans doute à 60 000-65 000, mais il ne le dit pas, parce qu’il serait obligé de le justifier, comme le font les autres partis. »

Pour sa part, le chef de la CAQ justifie son intention d’accueillir moins d’immigrants répétant que leur taux de chômage est de 15% dans les cinq premières années. Or, s’il est effectivem­ent de 14,1 %, comparativ­ement à 9,1 % en Ontario, ce taux a tendance à diminuer, étant donné la conjonctur­e économique favorable. Après avoir oscillé entre 10 % et 13 % depuis 2007, le taux de chômage des immigrants âgés de 25 à 54 ans atteignait 8,7 % l’an dernier. « Les employeurs vont désormais considérer un CV d’immigrant qu’ils auraient peut-être mis sous la pile il y a 15 ans, voyant que leur production est compromise », avance Mia Homsy.

Pour un portrait plus juste de la situation, les politicien­s devraient toutefois s’intéresser de plus près à certaines données qui ne ressortent pas souvent, soit le taux de surqualifi­cation et la provenance des immigrants. « Les gens des pays musulmans ont un taux de chômage plus élevé », rappelle M. Boudarbat.

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