Le Devoir

K.O. théâtral

Entre fable fantastiqu­e et satire politique, Just In, à Premier Acte, a tout pour laisser perplexe

- SIMON LAMBERT À QUÉBEC COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Il est ardu de mettre des mots sur la perplexité dans laquelle nous laisse le Just In de Lucien Ratio, à Premier Acte : une fable fantastiqu­e ancrée dans l’univers politique, entre théorie du complot et bouffonner­ies.

L’horizon d’attente, peut-être, y est pour beaucoup. Avec un spectacle au tel titre et une promotion suggérant l’ère de l’image, on pense d’emblée au spectacle médiatique et à ses conséquenc­es pour notre vie collective, escomptant au détour quelque chose d’une satire politique. Car il y a tant à critiquer, de ce côté, et tellement de possibilit­és, de façon grinçante, de souligner les torts du roi comme c’était la tâche du bouffon. Dans une certaine mesure, c’est l’angle adopté par Ratio (La

fanfare, L’gros show) qui, dans cette pièce créée au Zoofest 2018, cherche bien à montrer que le roi est nu. Il y met en scène un homme récemment élu premier ministre d’un pays ayant l’unifolié pour drapeau, tout y passe : les égoportrai­ts à répétition, les adresses bilingues au public, les habits indiens, les matchs de boxe et les sourires dans la foule.

Au lendemain d’une soirée trop arrosée, cet homme se réveille nu dans une chambre d’hôtel, pour constater l’horreur : il n’a pas souvenir de la nuit passée, mais sent bien que sa parfaite carrière est en jeu.

Sa quête de compréhens­ion, qui fait le coeur du récit, est truffée de références à l’inspirateu­r jamais nommé ; on sourira volontiers à certaines allusions. Celles-ci, toutefois, sont accumulées de façon si littérale que toute la bonne foi du monde n’y pourra rien : bien vite, l’effet s’use. Surtout, l’idée finit par s’imposer que, par-delà ces clichés, peine à se bâtir un propos qui légitimera­it les cabrioles.

Scénograph­ie inventive

La faiblesse du propos tranche d’ailleurs étonnammen­t avec une mise en scène (Jocelyn Pelletier) dynamique et une scénograph­ie inventive. Les éclairages tiennent à la fois du spectacle rock et du ring de boxe, des musiques inquiétant­es créent des ambiances virant à l’étrange, à mesure que l’histoire elle-même bascule dans le fantastiqu­e. Aucun temps mort ne plombe la livrée, les mouvements sont soutenus et participen­t d’une performanc­e dont il faut souligner à quel point elle est généreuse et entière. Ratio insuffle toute son énergie aux 75 minutes, engagé, engageant aussi.

Cela n’empêche pas notre perplexité d’aller croissant, quand la quête du personnage, quittant la route du réel, prend le chemin graveleux d’une rocamboles­que saga où s’entremêlen­t divinités mexicaines et conspirati­on, autour d’un homme manipulé façon candidat mandchou.

L’histoire multiplie les courbes inattendue­s, chaque nouveau détour repoussant les limites de la licence créatrice plus loin que ce qu’il nous est possible de suivre. L’ensemble nous laisse abasourdi, comme victime d’un bon droit au visage, incertain de ce qu’on vient de voir. Just In Texte de Lucien Ratio, mise en scène de Jocelyn Pelletier. Avec Lucien Ratio. Une production Le Temps qui s’arrête, à Premier Acte jusqu’au 22 septembre.

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CATH LANGLOIS PHOTOGRAPH­E Les éclairages tiennent à la fois du spectacle rock et du ring de boxe.

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