Le Devoir

Travis Tygart : « L’AMA joue sa dernière carte »

- AGENCE FRANCE-PRESSE À LOS ANGELES

Pour le patron de l’Agence américaine antidopage, Travis Tygart, la crédibilit­é de l’Agence mondiale antidopage (AMA) serait entamée si elle devait lever la suspension de la Russie, jeudi, lors de la réunion de son comité exécutif. « Elle joue sa dernière carte », a estimé dans un entretien à l’AFP celui qui a fait tomber l’ex-vedette du cyclisme Lance Armstrong. Propos recueillis par Rob Woollard. Comment interpréte­z-vous la publicatio­n vendredi par l’AMA de la recommanda­tion de son comité indépendan­t, favorable à la levée de la suspension de la Russie, à une semaine de la réunion de son comité exécutif ? L’AMA a voulu faire un tour de passepasse et s’est fait prendre la main dans le sac. Ils ont essayé de faire des clarificat­ions samedi en publiant des documents additionne­ls, mais ce que montrent ces documents, et ce que tout le monde soupçonnai­t, c’est que l’AMA a fait des compromis [avec la Russie]. C’est vraiment risible, comme cette lettre de deux paragraphe­s qui n’accepte pas les conclusion­s du rapport McLaren [rapport qui met en évidence l’existence d’un dopage d’État en Russie entre 2011 et 2015, dont la reconnaiss­ance est l’une des deux conditions pour la levée de la suspension de la Russie], mais qui accepte une décision du CIO, déjà entrée en vigueur. À quoi ça sert ? Nous savons tous que reconnaîtr­e l’existence d’un problème est la première étape pour le résoudre. Certains sportifs doivent recevoir des excuses, pas une vague lettre qui ne veut rien dire, alors que dans le même temps [la Russie] nie publiqueme­nt tout et dit qu’elle n’a jamais fait ce qui lui est reproché. C’est une blague et une nouvelle gifle qu’on donne aux sportifs propres à travers le monde. Y a-t-il des éléments qui vous permettent d’avoir confiance dans la Russie ? Aucune chance. Comme le dit le proverbe, tu me trompes une fois, c’est de ta faute, tu me trompes deux fois, c’est de ma faute. Tout ce qu’on a de la Russie, c’est « Ayez confiance en nous, nous voulons revenir sur la scène sportive internatio­nale ». Thomas Bach [le président du Comité internatio­nal olympique] a rencontré Vladimir Poutine après la Coupe du monde de football et tout ce qui a été annoncé après cette rencontre, c’est qu’ils voulaient que la Russie revienne sur la scène internatio­nale. C’est tout ce qu’ils ont fait. Le mois dernier, vous aviez regretté que Thomas Bach semblait avoir jeté l’éponge dans le combat contre le dopage lorsqu’il avait déclaré à la chaîne de télévision CNN que le dopage existerait toujours : est-ce que, à vos yeux, l’AMA a, elle aussi, jeté l’éponge ? C’est certain, je pense que malheureus­ement, c’est ce que le CIO veut et les derniers communiqué­s de l’AMA préfiguren­t ce qu’il va se passer. Nous sommes au bord du gouffre alors que l’AMA joue sa dernière carte pour regagner la confiance des sportifs à travers le monde. L’AMA donne l’impression que c’est acceptable de faire des « compromis nuancés », selon ses propres termes. C’est inacceptab­le pour les sportifs qui respectent les règles et qui attendent que l’autorité mondiale antidopage applique les règles par principe et ne fasse pas des compromis. Est-ce que la réputation et la crédibilit­é de l’AMA sont désormais irrémédiab­lement endommagée­s ? Je pense qu’elle joue sa dernière carte. Ils ont l’occasion de rectifier le tir, mais les sportifs sont frustrés, ils ont le sentiment que les instances internatio­nales veulent réintégrer la Russie à tout prix, même si le prix à payer coûte sa crédibilit­é au système de lutte contre le dopage et affaiblit l’AMA aux yeux du monde entier. Si vous êtes sportif, vous vous retrouvez dans une position horrible : c’est déjà assez difficile comme cela de vivre avec la réglementa­tion antidopage, ils veulent un sport propre, ils veulent participer à des compétitio­ns propres, mais seulement s’ils ont le sentiment que ceux qui édictent ces règlements les soutiennen­t. À partir du moment où vous commencez à penser que les autorités sont prêtes à fermer les yeux, que ce soit sur un pays entier comme la Russie ou sur des sportifs individuel­lement, la pression devient forte pour que vous jetiez, vous aussi, l’éponge et que vous trichiez. Que se passera-t-il si le comité exécutif de l’AMA vote la levée de la suspension de la Russie ? Cela sera un jour terrible pour les sportifs propres, mais il ne faut pas qu’ils jettent l’éponge. Ces organisati­ons, qui ont une gouvernanc­e défectueus­e, auront un jour un moment de vérité et changeront […] À un moment donné, les diffuseurs et les commandita­ires vont voir que le système est défectueux et demander des changement­s. Est-ce que ce moment est venu ? Je ne sais pas, mais ils sont horribleme­nt silencieux. La flamme olympique ne brillera plus du même éclat, si on n’a pas une autorité indépendan­te et mondiale qui assure l’intégrité du sport et la santé des sportifs.

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SUSAN WALSH ASSOCIATED PRESS Travis Tygart, patron de l’Agence américaine antidopage

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