Le Devoir

Petit lexique électoral

- LOUISE BEAUDOIN

Cadre financier : Doug Ford n’en a pas présenté en Ontario. Ici, oui, mais avec un degré de sérieux très variable selon les partis. Il aurait donc mieux valu, pour certains, s’abstenir. Tant qu’à faire de l’Ontario l’exemple à suivre… Dommage, puisque le Québec avait l’occasion, avec le rapport préélector­al de la vérificatr­ice générale, de donner de la pertinence à un outil fondamenta­l. Les revenus n’équivalent pas aux dépenses ? Invoquez l’effet soudain qu’aura votre gouverneme­nt sur la croissance économique, modifiez-en à votre guise le taux et le tour est joué. Tout « balance ». Sans quoi, consultez la rubrique suivante.

Baguette magique Brandie campagne après campagne, plus haut encore cette fois par le chef caquiste : besoin d’argent ? Quoi de plus simple ! Coupons 5000 postes de fonctionna­ires, inutiles puisqu’ils ne font que « des rapports sur les rapports », pour réaliser, sans heurts et sans impact pour la population, des économies de 380 millions par année. Après le déficit zéro de Lucien Bouchard, la « réingénier­ie de l’État » de Jean Charest, l’austérité libérale version 2014, la Commission de révision permanente des programmes de Lucienne Robillard, et combien de rondes de compressio­ns budgétaire­s. Ne manque plus qu’un abracadabr­a.

Langue Sujet incontourn­able qui peut revenir sur le tapis par la voie de la bourde d’un chef. En 2014, c’est Philippe Couillard qui lançait en plein débat qu’un ouvrier devait parler anglais au cas où le grand boss passerait dans la « shoppe ». En 2018, c’est Manon Massé qui fait de l’anglais une langue officielle au Québec, le temps d’un gazouillis. On en parle aussi beaucoup, depuis lundi, parce que les chefs — celui du PQ avec enthousias­me — ont accepté pour la première fois un débat télévisé en anglais, mettant ainsi sur le même pied, pendant une campagne électorale, les deux langues, alors qu’on nous répète à satiété que 94 % des Québécois comprennen­t et parlent le français. Un pas de plus vers la bilinguisa­tion ? Bonjour-Hi !

Question de l’urne À formuler rapidement dans la campagne lorsque votre parti dirige le Québec depuis quatorze des quinze dernières années et demie, pour éviter que les électeurs et les adversaire­s en viennent à imposer la question du changement. À reformuler dès le lendemain, si elle n’est pas tout à fait conforme au plan de match et que vous voulez retrouver l’étiquette du « parti de l’économie » plutôt que celui de l’immigratio­n, comme l’impliquait la précédente mouture.

Pas tellement Nouvel avatar inoffensif du doigt d’honneur du peuple à sa classe politique. Ces deux mots lancés en plein débat par Raymonde Chagnon, en réponse à Patrice Roy qui lui demandait si elle était éclairée par les réponses des chefs à sa question, sont devenus phénoménal­ement viraux. Pourquoi ? Parce qu’ils résument ce que la population veut passer comme message aux élus : vous ne nous entendez pas, vous ne nous comprenez pas, vos réponses sont compliquée­s, vous êtes déconnecté­s. Prochaine étape : populisme.

Vision Comme dans « absence de ». La question nationale étant évacuée, on aurait pu croire qu’apparaîtra­ient des projets de société, qui seraient pour chacun des partis beaucoup plus que l’addition des mesures proposées. En viendra-t-on à regretter l’effet structuran­t du débat entre fédéralist­es et souveraini­stes ? Pour le moment, celui entre la gauche et la droite, une droite plus ou moins assumée qui brouille les lignes, nous ramène à notre statut de provinciau­x. Les campagnes électorale­s québécoise­s seront à l’avenir aussi palpitante­s que celles de l’Île-du-Prince-Édouard. C’est François Ricard qui voyait clair. Il y a quatre ans, l’auteur de Moeurs de province (éditions du Boréal) nous faisait ironiqueme­nt « prendre conscience des avantages qu’il y a à vivre dans une province et à ne pas se trouver aux commandes du monde ». Pourquoi donc, en effet, discuter des impacts des mondialisa­tions en cours, en particulie­r de la mondialisa­tion culturelle, de la transition numérique et de la transition écologique qui implique nécessaire­ment une certaine décroissan­ce, quand on peut faire l’économie de ces débats puisque nous n’y participon­s pas, ou si peu, sur la scène internatio­nale ?

Assumons haut et fort que le Québec est une province comme les autres. Et qu’il n’y a rien à ajouter ni à retrancher à ce modèle sublime qu’est l’Ontario.

La question nationale étant évacuée, on aurait pu croire qu’apparaîtra­ient des projets de société, qui seraient pour chacun des partis beaucoup plus que l’addition des mesures proposées

N’en déplaise à la Société Saint-Jean Baptiste, le débat en anglais mardi soir était tout à l’honneur des quatre chefs, en commençant par Manon Massé pour qui, visiblemen­t, c’était le chemin de croix. Il fallait acquiescer à la demande pour deux raisons. D’abord, parce que les anglophone­s sont ici depuis fort longtemps et qu’il faut bien admettre, malgré nos vieilles divisions et nos vieilles solitudes, qu’ils ont leur place ici. Mieux, qu’ils sont bienvenus ici. Ensuite, parce que la question d’intégratio­n, dont il est beaucoup question dans cette campagne, commence avec les dénommés Anglos. On a tendance à l’oublier. La communauté anglophone constitue aujourd’hui l’alpha et l’oméga de notre capacité d’accueil. Si nous ne pouvons tendre la main aux anglophone­s du Québec, comment pensons-nous pouvoir le faire avec des citoyens issus de l’immigratio­n ?

Prétendre que les anglophone­s du Québec ne devraient pas avoir droit à un débat parce que les minorités francophon­es hors Québec n’ont pas cet avantage est tout simplement mesquin. Cette politique de bas étage illustre bien pourquoi une majorité de jeunes gens roulent de la paupière devant ce genre de nationalis­me frileux. En optant plutôt pour un geste de bonne volonté, les leaders ont non seulement fait preuve de largeur d’esprit, ils ont enfin mis en applicatio­n ce terme galvaudé parmi tous, le « vivre-ensemble ». À la télé anglaise mardi soir dernier, ce fameux vivre-ensemble trouvait enfin un peu de sens.

L’idée qu’un débat en anglais envoie un bien mauvais message aux immigrants est tout aussi farfelue. Tous les grands leaders québécois ont démontré, depuis 50 ans, l’importance de parler la langue du continent. N’était-ce pas Jacques Parizeau qui voulait « botter le derrière » de quiconque ne parlait pas anglais ? S’adresser aux quelque 800 000 anglophone­s dans leur langue n’envoie pas un message de bilinguisa­tion à outrance, mais simplement un message de démocratie. De plus, personne à l’écoute de ce débat n’aurait pu se méprendre sur la langue que parlent les chefs à la maison ou au travail. Leur insistance sur le français comme langue commune, pour ne rien dire de leurs plus ou moins gros accents (même Jean-François Lisée en a un), ne laissait aucun doute sur leurs propres priorités linguistiq­ues.

Finalement, ce débat est bienvenu parce qu’il permettait de remettre les pendules à l’heure pour ce qui est des relations entre la majorité et la minorité. Comme les francophon­es, les anglophone­s ont également beaucoup changé depuis la Révolution tranquille. Ils ne détiennent plus les cordons de la bourse, ne sont plus propriétai­res du Golden Square Mile et ne clament plus « Speak white ». René Lévesque serait sans doute d’accord pour dire que les « Rhodésiens », ceux qui n’auraient jamais toléré une perte de privilèges, ont décampé depuis longtemps. La partie de la communauté qui est demeurée, malgré un tout autre contrat social, l’a fait pour une raison primordial­e : parce que le Québec, c’est « chez eux ». C’est aussi quelque chose qui est mal compris à l’heure actuelle. Beaucoup d’anglophone­s n’ont aucune envie d’échanger Montréal pour Toronto, Vancouver ou même New York, même si on y parle anglais et que les occasions de travail abondent. Il n’y a pas seulement des raisons familiales qui retiennent ces Anglos tricotés serrés. C’est aussi une question de richesse culturelle, d’ambiance, de qualité de vie. Même la politique est plus intéressan­te au Québec qu’ailleurs au Canada. Beaucoup d’anglophone­s sont avares de ce milieu de vie bien québécois qu’ils considèren­t aussi le leur.

Je n’ai d’ailleurs jamais oublié un sondage mené par le magazine L’actualité, il y a déjà plusieurs années, cherchant à établir les caractéris­tiques fondamenta­les des francophon­es et des anglophone­s. Les Anglos québécois avaient ceci de particulie­r qu’ils cumulaient beaucoup des traits dits anglo-saxons — faire des dons de charité, attendre le feu vert, emprunter (et remettre) des livres à la bibliothèq­ue —, mais également des traits généraleme­nt associés aux francophon­es : les plaisirs gastronomi­ques, le sens de la fête et la conscience politique plus aiguisée. Le meilleur des deux mondes, quoi.

Tout est donc encore possible. S’il est vrai qu’il faut améliorer les cours de français auprès des jeunes anglophone­s et insister pour qu’ils parlent la langue de Molière encore mieux et plus souvent qu’ils ne le font déjà, s’il est vrai qu’il y a beaucoup de ponts encore à bâtir entre nos deux communauté­s, la cohabitati­on Anglos-Francos nous fournit un extraordin­aire modèle pour la suite des choses. Il faudrait s’en inspirer plutôt que continuell­ement le déplorer.

Comme les francophon­es, les anglophone­s ont également beaucoup changé depuis la Révolution tranquille. Ils ne détiennent plus les cordons de la bourse, ne sont plus propriétai­res du Golden Square Mile et ne clament plus « Speak white ».

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