Le Devoir

Le surdiagnos­tic et nous : de l’hôpital à l’école

- JULIEN PRUD’HOMME

Professeur au Départemen­t des sciences humaines de l’UQTR et membre du Centre interunive­rsitaire d’études québécoise­s (CIEQ)

La Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) tiendra en octobre un congrès intitulé « Le surdiagnos­tic et vous ». Le but sera d’aider nos omnipratic­iens à vaincre un démon sournois : la tentation de poser un diagnostic intempesti­f. Ça arrive : toujours pour bien faire, pour ne pas courir de risque, pour donner accès au service… mais souvent, dans les faits, au détriment de la santé à long terme du patient et de nos services publics. La FMOQ s’inquiète parce que c’est sérieux : le surdiagnos­tic est une préoccupat­ion mondiale, abordée notamment aux grands congrès internatio­naux Preventing Overdiagno­sis tenus chaque année depuis 2013.

Les médecins se préoccupen­t du surdiagnos­tic de maladies « physiques » comme l’ostéoporos­e ou certains cancers. Un diagnostic inutile peut imposer un traitement dommageabl­e et une détresse évitable. Surtout, il peut engager la personne dans une longue « carrière de patient », une trajectoir­e de vie déterminée par un statut de « malade » qu’elle ne devrait pas avoir. Il faut limiter ces dégâts. C’est difficile, car l’équilibre recherché est précaire : le sous-diagnostic pose aussi un danger.

Si cette incertitud­e touche un mal «tangible» comme le cancer, imagine-t-on ce qu’il en est des secteurs plus ambigus, comme la santé mentale ou la difficulté scolaire ?

Comme historien, je mène des recherches sur la médicalisa­tion des difficulté­s scolaires. Dans les écoles, les diagnostic­s de dyslexie, de trouble de l’attention (TDAH) ou du comporteme­nt se multiplien­t. De 1997 à 2017, le nombre d’enfants auxquels on a attribué un diagnostic assez grave pour justifier une subvention spéciale est passé de 22 000 à près de 45 000 ; plus largement, le nombre d’élèves formelleme­nt désignés comme « handicapés ou en difficulté », y compris les cas de TDAH et de dyslexie, est passé de 130 000 à 207 000. Trop souvent, le diagnostic est requis pour obtenir de l’aide pédagogiqu­e et n’est fait que pour cette seule raison. Des autorités crédibles, comme le Collège des médecins ou le Conseil supérieur de l’éducation, ont évoqué une médicalisa­tion abusive des problèmes scolaires. Il reste toutefois difficile de mesurer le phénomène et d’y trouver des solutions.

Il faut pourtant s’y attaquer. Les conséquenc­es observées dans les cas de cancer s’observent aussi à l’école : un diagnostic peut aider Paul mais nuire à Pierrette, et nous ne savons pas bien distinguer l’un de l’autre. Des milliers d’enfants reçoivent un diagnostic qui influencer­a leur parcours scolaire, leur identité et leur vie future, sans que l’on sache si cette influence sera positive ou néfaste. Le surdiagnos­tic a aussi des effets sur notre système d’éducation en entier. Il nous fait oublier que l’échec scolaire a aussi des causes collective­s : l’inégalité économique, des écoles vétustes, des pédagogies déficiente­s, des classes ordinaires vidées des meilleurs élèves…

Comme le cancer, personne ne remet en cause la validité de catégories cliniques comme la dyslexie ou le TDAH. Ça « existe ». C’est l’usage concret du diagnostic sur le plancher des vaches qui pose problème. Sur ce point, il reste beaucoup à découvrir, à nuancer, à préciser, mais nous manquons d’informatio­n. Car la surabondan­ce de diagnostic­s sème aussi la confusion : on diagnostiq­ue tant, et pour tant de raisons, que les statistiqu­es en deviennent difficiles à lire. On ne pourra documenter le problème qu’en s’y attaquant. C’est pourquoi je soutiens l’initiative du mouvement Jeunes et santé mentale, qui propose une commission parlementa­ire sur la médicalisa­tion des problèmes sociaux des jeunes.

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